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le « prince impérial en sa qualité de filleul de Pie IX ; » il ne se résigne pas à subir le joug de ceux qui « s’arrogent un brevet exclusif de fidélité aux principes, » et qui courent les aventures dans une voie « où ils s’exaspèrent vainement, s’éloignant, sans retour peut-être, du but commun qu’ils ont déjà tant de fois compromis. » M. de Falloux est un suspect ! Naturellement l’extrême droite voit le grand obstacle, l’ennemi public dans le gouvernement, dans M. Thiers surtout. Elle n’a pas même observé une trêve d’un jour pour la libération, elle s’est remise aussitôt en campagne, et la voilà livrant bataille pour soutenir une pétition du prince Napoléon réclamant contre le décret d’expulsion dont il a été l’objet l’automne dernier. Ce qui fermente d’animosités, de préventions, de ressentimens dans ce camp du radicalisme légitimiste, on a pu le voir par un discours de M. Fresneau, qui aspire décidément à être un des excentriques de l’assemblée. De quoi n’a pas parlé M. Fresneau ? Il a parlé d’Henri IV, de Charles VII, de la maison de Savoie, du pape, des dévotions du roi Victor-Emmanuel, de la duchesse de Berry. Il a parlé de tout pour ne rien dire, et il n’a réussi qu’à faire le plus bizarre salmigondis, auquel M. le garde des sceaux n’a pas cru même devoir répondre.

Ce n’est point malheureusement M. Fresneau seul qui a rompu des lances à propos du prince Napoléon. Une fraction assez considérable de la droite modérée elle-même a cru devoir s’engager dans cette étrange affaire. Le rapporteur de la commission, M. Depeyre, a jugé nécessaire de déployer une chaleur inusitée de conviction et d’éloquence pour défendre la liberté individuelle, pour réfuter la théorie de la raison d’état, et on ne croyait pouvoir faire moins que de sauvegarder les principes par un ordre du jour contenant sinon un blâme direct, du moins une réserve vis-à-vis du gouvernement. On a trouvé piquant sans doute de faire du prince Napoléon un héros persécuté de la liberté individuelle, mise en péril dans sa personne. Soit, on a dit certainement les meilleures, les plus honnêtes choses du monde. Et après ? Que signifiait cette discussion ? Où était la nécessité de créer une apparence de conflit, de laisser peser sur le gouvernement un soupçon d’arbitraire inutile ? S’il s’agissait de défendre la liberté individuelle, le gouvernement ne mettait point un tel principe en doute. Que restait-il donc ? Il restait une thèse incontestée de droit constitutionnel, de libéralisme, soutenue à propos du prince Napoléon, poliment reconduit à la frontière par une mesure d’ordre public ! On ne peut pas, dit-on, laisser entre les mains du gouvernement cette arme exorbitante et redoutable du droit d’expulsion pour simple raison d’état. D’abord la raison d’état ne s’applique pas à tout le monde, la mesure d’expulsion est exceptionnelle parce que le personnage qu’elle atteint est placé lui-même dans une position exceptionnelle, et un pouvoir gardien de la sécurité publique est bien obligé dans des circonstances rares de prendre la responsabilité