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n’est pas une force agressive que nous entendons lui donner,… c’est sa position dans les conseils de l’Europe que nous voulons lui rendre, parce qu’elle n’a pas mérité de la perdre… Notre politique est donc la paix, même lorsque notre administration semble viser à la guerre. »

Le traité du 15 mars et l’évacuation de Belfort, assurée pour le mois de juillet, ont dû rassurer beaucoup de nos compatriotes. Nous ne croyons pas à une nouvelle invasion, à une guerre d’agression de l’Allemagne contre la France. Le gouvernement allemand a intérêt à tenir en éveil les passions nationales, à montrer l’empire constamment menacé par « l’ambition et la rancune » des Français ; c’est un moyen de maintenir l’accord entre les partis, d’étouffer toute opposition ; c’est la plus formidable machine, de guerre de la chancellerie contre les catholiques et les particularistes. Songerait-on à entamer de parti-pris une nouvelle guerre pour affermir, tant au dehors qu’au dedans, les résultats de la guerre précédente ? Une semblable combinaison ne serait pas d’une application aussi aisée qu’on paraît le supposer. L’Europe est sans doute fort désunie ; elle professe pour les faits accomplis un respect qui n’a jamais été si profond ; mais nous avons peine à croire que la Prusse oserait prendre devant l’Europe, devant ses alliés, la responsabilité d’une agression brutale et sans motifs au moins spécieux. D’autre part, si soumise qu’elle soit, l’Allemagne n’est pas « taillable et corvéable » à merci. Les populations, celles qui fournissent la matière militaire, la chair à canon, supputent leurs bénéfices et les trouvent au moins douteux. L’émigration prend des proportions inquiétantes pour l’état. Pour entraîner la nation à la guerre, il faudrait la persuader qu’elle est menacée et attaquée ; mais cette démonstration suffirait, et les colères germaniques éclateraient avec d’autant plus de violence que l’Allemagne se croit plus de droits au repos. La crainte d’un événement de ce genre est à l’état chronique en Allemagne ; la presse officieuse l’entretient soigneusement. Dans le cas où les Allemands jugeraient inévitable une guerre à bref délai, ils considéreraient que leur gouvernement ferait son devoir en prévenant une attaque de la France, en ne lui laissant point le temps de réorganiser son armée et de trouver des alliances. Toutefois il est très probable que l’Allemagne ne prendrait pas à son compte une rupture de la paix ; une circonstance imprévue, comme l’a été en 1870 la candidature Hohenzollern, mettrait la France en demeure d’opter entre la paix et la revanche, entre le maintien des traités de Versailles ou la guerre immédiate. Malheur à nous si la France s’abandonnait alors à ses passions, même les plus saintes, à la colère, même la plus légitime ! L’Allemagne entière courrait