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deviendrait cette ceinture de prairies sous les pas de transportés oisifs ? L’île des plus est entourée de récifs dont les cavités sont habitées par un grand nombre de langoustes. Ces crustacés varieront agréablement l’ordinaire des transportés jusqu’au jour où la dilapidation et la paresse auront chassé les bestiaux de l’île, épuisé les ressources de la pêche et remplacé la verdure par le sable rouge des montagnes. Quant à l’île Maré, elle est située à 15 lieues environ de la grande terre, et fait partie d’un groupe de trois îles principales découvertes par les Anglais vers l’année 1800 et nommées groupe des îles Loyalty. Elle rentre néanmoins dans notre sphère d’action ; nous y avons étendu notre souveraineté, réprimé certaines révoltes et laissé un poste. L’île Maré est la moins importante des trois ; la population de 3,000 habitans est moitié protestante, moitié catholique. Les missionnaires catholiques, comme leurs rivaux des missions évangéliques, ont entrepris la conversion des idolâtres. Leur dévoûment était assez mal récompensé, lorsqu’en 1869 l’un des pères ayant creusé un puits, auquel une pompe fut adaptée, l’eau douce se répandit en ruisseaux pour arroser les terres : précieuse acquisition sur un rocher où n’existe pas une seule source. Les habitans, qui étaient réduits pour se désaltérer à l’eau de pluie, recueillie dans des citernes et souvent insuffisante, ont été sensibles à ce bienfait. On a profité de leurs bonnes dispositions pour les baptiser. Les missionnaires ne feraient-ils qu’abolir l’abominable pratique de l’anthropophagie, qu’ils rendraient un grand service.

En résumé, il n’est pas difficile de prévoir quels seront sur ces rochers éloignés les résultats de la transportation des condamnés de la catégorie dite politique : la dévastation du sol, la stérilité et la misère, dont le stigmate a été laissé par eux à l’Ilet-au-Diable, — des conflits avec les indigènes, — la destruction de l’œuvre des missionnaires, — un détestable exemple donné aux populations océaniennes. La transportation nous attirera l’étonnement et les dédains des marins étrangers, qui, passant à l’occasion devant des îlots sans végétation, des ruines de bâtiment et des terres désertes, y reconnaîtront les traces de l’inconséquence et de l’instabilité françaises, et cela dans des parages où l’Angleterre, en moins d’un siècle, a su fonder la colonisation d’un continent.

Il est évident qu’il faut contraindre les transportés politiques au travail, ou renoncer à leur transportation. Peut-on les contraindre à travailler ? Posons d’abord en fait que les bandes de transportés dont nous avons décrit l’aspect et le caractère n’ont absolument rien de commun avec des journalistes ou des pamphlétaires plus ou moins distingués, un bon nombre ont pu subir des condamnations sans que leurs travaux soient complètement oubliés de leur pays,