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les nègres ont comprise comme l’abolition du travail. Les maître ont dû quitter leurs domaines en friche et fleurs ateliers sans ouvriers, et ils sont partis, ne daignant même pas, tant était grand leur découragement, fermer les portes derrière eux. La nature a donc accompli rapidement et sans obstacle son œuvre ordinaire : elle a lézardé les bâtimens, disjoint les planchers, détruit les toitures par la double action de l’extrême chaleur et de l’extrême humidité, percé les cuves à cuire le sucre, rongé par la rouille les machines à vapeur, renversé les chaudières, qu’on voit gisant à terre.

Généralement les sites étaient admirablement choisis. Au bon temps du travail et de la prospérité, il n’y avait rien de plus riant que ces oasis. Puisque des habitans d’origine européenne y avaient vécu, puisque des Africains y avaient défriché et cultivé le sol, n’était-il pas permis d’en conclure que le climat était vaincu dans ces limites ? Le séjour prolongé des hommes, le voisinage d’une rivière aux eaux limpides et courantes, avaient sans doute assaini ces coins de terre favorisés, véritable paradis terrestre au sein du chaos. Telle fut l’illusion d’un des meilleurs gouverneurs de la Guyane, administrée successivement par plusieurs officiers-généraux de la marine, qui ont fait preuve d’un grand dévoûment et d’une activité sans égale. Cette illusion fut aussi partagée au ministère, où l’on résolut de créer des pénitenciers au bord de la rivière la Comté, précisément sur le terrain d’anciennes habitations. L’administration et ses agens montrèrent dans la poursuite de cette entreprise une sollicitude et une fertilité d’invention bien dignes d’un meilleur sort. Plusieurs succombèrent, plusieurs y laissèrent leur santé, et se ressentirent toute leur vie des années passées dans les marais de la Guyane. Si jamais tentative mérita le succès par la persistance et par l’intelligence des efforts, ce fut réellement cet essai de transportation utile. Dans tous les cas, on dut à ces soins éclairés d’éviter une épouvantable catastrophe.

Deux pénitentiers furent construits sur les bords de la Comté, l’un et l’autre avaient été conçus à peu près sur le même modèle. Qu’on se représente plusieurs groupes de bâtimens en bois et de cabanes occupées autrefois par les Africains. Voici le quartier de l’état-major, « petites maisons blanches aux volets verte, d’un aspect réjouissant. » On accède au premier et unique étage par un escalier extérieur en forme d’échelle. Les chambres, parfaitement closes, sont saines, et les fenêtres s’ouvrent de plain-pied sur une galerie ; à mi-côte sont les anciens ateliers de la sucrerie transformés en magasins, puis la caserne. Les vols sont rares, mais il faut surveiller le tafia. Dans ces camps, l’ivresse des forçats va jusqu’à la folie