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Lambessa était un pénitencier où les détenus vivaient dans de vastes bâtimens avec toutes les aises que peut comporter une prison. Ils n’étaient pas obligés de rester dans l’enceinte des murs, ils avaient la liberté de se promener et de travailler au dehors. Les condamnés de 1848 qu’on y avait transportés les premiers étaient même autorisés à manquer aux appels lorsqu’on les savait occupés dans quelque établissement industriel ou agricole. La surveillance n’était ni stricte ni gênante ; les dortoirs étaient vastes, le climat excellent, la nourriture saine, les cours spacieuses. On fumait, on philosophait et on divaguait ; on discutait des projets d’évasion, et, comme on communiquait librement avec le dehors, les préparatifs étaient très simplifiés ; les complices de l’extérieur procuraient les déguisemens, fournissaient les bidons, les havre-sacs, les chaussures, l’eau-de-vie et le pain. Rien n’était plus facile que de franchir les murs ou les portes, tant la surveillance était débonnaire. Les portiers étaient insoucians, les sentinelles n’apercevaient jamais les fuyards ; leur danger ne commençait qu’en rase campagne. Une prime de 25 francs étant promise pour l’arrestation des prisonniers fugitifs, les Arabes se mettaient en quête sitôt qu’une évasion était signalée : aussi était-il très difficile d’atteindre la frontière la plus proche, celle de Tunisie ; avant d’y arriver, les évadés étaient presque toujours pris et livrés à l’autorité française. Ils passaient devant un conseil de guerre, qui les condamnait invariablement à deux ans de détention dans une forteresse, où ils restaient oisifs comme à Lambessa, et c’est ainsi que la déportation contribuait à coloniser l’Algérie !

Les amnisties, les grâces particulières, éclaircirent les rangs des prisonniers. Quand il n’en resta plus qu’un petit nombre à Lambessa, le décret de décembre 1851 dont nous avons parlé décida qu’ils seraient transportés à la Guyane française. Un si long voyage nécessitait des précautions particulières, non-seulement pendant la traversée, mais encore après le débarquement. Si l’on avait imité les procédés de l’an V, on se serait épargné beaucoup d’embarras et de dépenses. Loin de là, on eut pour les transportés les plus grands égards ; ils n’en furent que plus récalcitrans et plus rogues. De nouveau on les pria de vouloir bien travailler. Ils avaient bravé les ordres, ils se rirent des prières.

Il faut mentionner ici l’espèce de complicité que les prisonniers politiques ont rencontrée dans les agens ou fonctionnaires chargés de leur garde. C’est une des conséquences inévitables de nos fréquentes révolutions. Dans ce chaos de principes contraires qui gouvernent tour à tour notre malheureux pays, comment les esprits faibles ou bornés pourraient-ils discerner la vérité ? Ils sont fidèles au