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ardentes, — chez les grands artistes par exemple, — et ils meurent jeunes d’ordinaire, — il y a un réveil soudain et sublime du génie créateur. Rien n’en témoigne mieux que la fin angélique de Beethoven, qui, avant d’exhaler son âme, cette monade mélodieuse, recouvra l’ouïe et la voix qu’il avait perdues, et s’en servit pour répéter une dernière fois quelques-uns des suaves accords qu’il appelait ses « prières à Dieu. » Certaines maladies du reste sont plus particulièrement caractérisées par la douceur de l’agonie. De tous les maux qui nous tuent à coups d’épingle et nous trompent, la phthisie est celui qui nous conserve le plus longtemps les illusions de la santé et nous dissimule le mieux les maux de la vie et les horreurs de la mort. Rien n’est comparable à cette hallucination des sens et à cette vivacité d’espérance qui marquent les derniers jours du phthisique. Il prend l’ardeur de la fièvre qui le consume pour un symptôme salutaire, il fait des projets, il sourit à-ses proches d’un sourire doux et serein, et tout à coup, au lendemain d’une nuit paisible, il s’endort pour ne plus se réveiller.

Si la vie est partout et si par suite la mort a lieu partout, dans tous les élémens de l’économie, que faut-il penser de ce point de la moelle épinière qu’un célèbre physiologiste appelait le nœud vital où il prétendait localiser le principe même de la vie ? Le point que Flourens considérait comme le nœud vital est situé à peu près au milieu de la moelle allongée, c’est-à-dire au milieu de la portion de substance nerveuse qui relie l’encéphale à la moelle épinière. Cette région est en effet d’une extrême et redoutable susceptibilité. Il suffit de la piquer, d’y enfoncer une aiguille pour amener la mort immédiate de l’animal, quel qu’il soit. C’est même le moyen qu’on emploie dans les laboratoires de physiologie pour sacrifier promptement et sûrement les chiens. Cette susceptibilité s’explique de la manière la plus naturelle. Ce point est l’origine des nerfs qui vont au poumon : du moment qu’on y détermine une lésion quelconque, il en résulte un arrêt des mouvemens respiratoires et consécutivement la mort. Le nœud vital de Flourens n’a aucune espèce de prérogative spéciale. La vie n’y est ni plus concentrée ni plus essentielle qu’ailleurs, seulement il coïncide avec l’origine des nerfs qui animent un des organes indispensables de la vitalité, l’organe de la sanguification ; or, dans les organismes vivans, toute altération des nerfs qui gouvernent une fonction est un péril grave pour l’intégrité de celle-ci. Il n’y a donc pas de nœud vital, il n’y a pas de foyer de vie dans les animaux. Ce sont des collections d’une infinité de vivans infiniment petits, et chacun de ces vivans microscopiques est à lui-même son propre foyer. Chacun pour son compte se nourrit, produit de la chaleur et manifeste les activités caractéristiques qui