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changemens dans l’ordre et le concert des principes de la vitalité ; ce ne sont que des transformations du petit au grand et vice versa. En d’autres termes, Leibniz voit partout des germes éternels et incorruptibles de vie, qui ne périssent pas plus qu’ils ne commencent. Ce qui commence et ce qui périt, ce sont les machines organiques dont ces germes constituent l’activité première ; les rouages élémentaires de ces machines sont dissociés, mais non pas détruits. Telle est la première vue de Leibniz. Il en a une seconde : il conçoit la génération comme une progression graduelle de la vie ; il concevra la mort comme une régression graduelle aussi du même principe, c’est-à-dire que dans la mort la vie se retire peu à peu, de même que dans la génération elle s’est avancée peu à peu. La mort n’est pas un phénomène brusque, une disparition soudaine, c’est une opération lente, une « rétrogradation, » comme dit le penseur du Hanovre. Quand la mort nous apparaît, elle travaillait depuis longtemps l’organisme, mais nous ne l’ayons pas aperçue, parce que « la dissolution va d’abord à des parties trop petites. » Oui, la mort, avant de se traduire à nos yeux par la pâleur livide, à nos mains par la froideur du marbre, avant de paralyser les mouvemens et de figer le sang du moribond, se glisse, obscure et insidieuse, dans les plus petites et plus secrètes parties de ses organes et de ses humeurs. C’est là qu’elle commence à corrompre les liquides, à désorganiser les trames, à détruire les équilibres, à compromettre les harmonies. Tout cela est plus ou moins long, plus ou moins perfide, et quand nous constatons manifestement la mort, nous pouvons être sûrs que l’ouvrage n’a rien d’improvisé.

Ces idées de Leibniz, comme la plupart des conceptions du génie, ne devaient recevoir que longtemps après l’époque où elles parurent la confirmation des expériences démonstratives. Avant Leibniz, on ne disséquait les cadavres que pour y voir la conformation et la disposition normale des organes. Une fois cette étude terminée, on entreprit l’examen méthodique des altérations que les maladies déterminent dans les diverses parties du corps. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que la mort en action devint l’objet des recherches de Bichat.

Bichat est le plus grand des historiens physiologiques de la mort. L’ouvrage célèbre qu’il a laissé sur ce sujet, les Recherches physiologiques sur la vie et la mort, est aussi remarquable par l’ampleur des idées générales et la beauté du style que par la précision des faits et l’art des expériences. C’est encore aujourd’hui la mine la plus riche de documens sur la physiologie de la mort Ayant établi que la vie n’est gravement compromise que par l’altération de l’un des trois organes essentiels, cerveau, cœur et poumon, dont