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Le lendemain, retiré dans son palais, Egna fait mander son ami Monomoï ; il lui fait le récit des menées amoureuses du ministre Koono, lui explique la scène de la veille, et lui confie son désespoir de n’avoir pas tué son rival, car il n’a plus désormais qu’à subir la sentence souveraine, dont sa propre mort ne sera peut-être pas l’article le plus sévère. Chose curieuse et qui représente bien le caractère japonais, mélange de calme et de frénésie, de soumission passive et d’irritabilité sauvage, — après cet éclair de révolte et cet oubli d’un instant qui a mis le poignard dans sa main, le malheureux attend avec résignation le châtiment, sans que la moindre idée de se soustraire à une loi aussi inexorable ait traversé son esprit. Une seule pensée le soutient et le console, c’est que, sous peine de déshonneur, ses parens et serviteurs devront chercher à venger sa mort dans le sang du ministre Koono ou des siens.

Monomoï a compris le legs que son ami, à défaut de fils ou de proches parens, veut lui faire accepter. Il se retire toutefois sans répondre, hésitant à s’engager par un serment à cette terrible tâche : Egna n’a-t-il pas d’ailleurs des serviteurs dévoués auxquels ce devoir incombe avant tout autre ? Quelques jours après, tandis qu’il se promène, tout soucieux, sous la vérandah de ses appartemens, il voit venir à lui un de ses plus fidèles officiers. Le vieux Kawatzou l’a vu naître, et parfois, malgré l’infranchissable distance des conditions, lui a donné des conseils qui ont été accueillis. Dans les fréquentes entrevues de Monomoï et d’Egna, il s’est lié d’amitié avec le haro ou premier officier de ce dernier ; c’est lui qui, dans la scène du temple, s’est jeté sur le bras du daïmio Egna pour empêcher son crime. Kawatzou s’avance avec un air respectueux et résolu à la fois. Il s’arrête près d’un jeune pin, tire son sabre et abat la tête de l’arbre ; puis, marchant à Monomoï, et lui présentant la branche sur son éventail ouvert : — Seigneur, lui dit-il, votre humble serviteur Kawatzou est coupable : par sa faute, le prince Egna n’a pu accomplir une juste vengeance, et il va bientôt périr. Comme cette branche de pin tranchée par mon sabre, la tête du daïmio Koono devra maintenant tomber à son tour ; ainsi le veulent les lois d’honneur de l’empire. C’est au coupable à réparer le mal ; votre serviteur Kawatzou, rempli de douleur, vous demande de pouvoir exécuter lui-même ce dessein.

Ainsi contraint de se prononcer, Monomoï fait des promesses au vieil officier, et, avant de rien entreprendre, s’informe de ce qu’est devenu le ministre Koono. Ce dernier, avide de vengeance, a fait au souverain une déposition où l’origine de sa querelle avec Egna est dissimulée sous un prétendu différend d’intérêts. Le chiogoun, avant de se recueillir pour prononcer la sentence, a exilé les deux