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merveilleuses, et qu’il venait à bout, dans les combats corps à corps, des plus vigoureux adversaires.

Laissons la cérémonie suivre son cours ; aussi bien n’est-elle qu’une occasion de présenter au public les principaux personnages du drame. Voici d’abord, au premier rang, parmi les membres du conseil, le ministre Koono-Moono, l’un des puissans du jour. Ses rides, ses cheveux gris indiquent qu’il a dépassé l’âge mûr ; il semble pourtant que le vieux seigneur ait gardé les passions de la jeunesse, à le voir, oubliant la gravité de son rôle dans une cérémonie d’apparat, porter toute son attention sur la tribune des nobles dames, et attacher ses regards sur l’une des beautés les plus en vue. La dame justifie d’ailleurs ces attentions par le charme de ses traits : la blancheur du teint, le nez aquilin, la finesse et la distinction de la physionomie en font un modèle de ce type qui se rencontre parfois dans la classe supérieure, mêlé aux traits de la race mongole, comme un vestige du peuple inconnu qui conquit le Japon et forma la noblesse du pays. Cette beauté, nouvelle à la cour, est la femme du jeune daïmio Egna, et le ministre Koono, épris de ses charmes, a récemment appelé son époux près du souverain en lui conférant un emploi ; il n’a cessé dès lors de poursuivre la jeune femme de ses déclarations. Egna n’eût pas soupçonné le vieux seigneur sans la confidence que lui a faite sa femme ; la veille encore, elle a doucement éconduit l’amoureux dignitaire en lui adressant le refus d’une entrevue, formulé dans une pièce de vers. Egna, prévenu cette fois, observe le manège du ministre avec une irritation mal contenue. Un de ses amis, le daïmio Monomoï, placé à côté de lui, remarque la pâleur de ses traits ; toutefois, esclave de la discrétion japonaise, il ne s’informe pas du motif de son trouble, et se contente de le regarder à la dérobée.

La cérémonie s’est terminée. Le chiogoun a disparu derrière les tentures ; son nombreux cortège se met en marche dans les avenues du temple. Les seigneurs se dirigent vers les issues de l’enceinte pour rejoindre leurs escortes et leurs palanquins. Egna s’est levé silencieusement, suivi de son ami Monomoï. Le hasard le met subitement en présence du ministre Koono : à sa vue, ses yeux s’allument ; avec un cri étouffé, il dégaine son poignard et, s’élance sur son rival. Un officier qui a vu ce mouvement se précipite sur les bras de l’agresseur et le retient par derrière. Koono se dégage, le front saignant d’une légère blessure ; on entraîne Egna à l’écart. Les témoins de cette courte scène se retirent atterrés, car le fait d’avoir répandu le sang dans une cérémonie. publique présidée par le souverain constitue un crime de lèse-majesté, et doit attirer sur le coupable un terrible châtiment.