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une source nouvelle de disputes entre les papes et les empereurs, car la donation pouvait être valable pour les alleux de la comtesse, mais elle était nulle pour les fiefs mouvant de l’empire.

Henri IV, après avoir soumis l’Allemagne, revint en Italie pour affermir l’antipape Guilbert sur le siège pontifical. Il assiégea Rome, que les grégoriens défendirent énergiquement. L’empereur fut obligé de se retirer en Lombardie après un vain effort contre la ville. Au printemps suivant, il retourna devant la place avec aussi peu de succès ; un dernier siège fut plus heureux. Henri gagna par argent le peuple de Rome, et fut introduit dans la ville, où il intronisa l’archevêque de Ravenne dans la chaire de Saint-Pierre, et reçut de ses mains la couronne impériale en compagnie de son épouse. Grégoire était resté maître du château Saint-Ange ; il appela Robert Guiscard à son secours, et l’habile Normand délivra le pontife, qui eut beaucoup de peine à se délivrer à son tour de ses libérateurs. Il se retira, craignant de tomber au pouvoir des troupes impériales, dans la ville de Salerne, où, consumé d’ardeur pieuse et de chagrins amers, il mourut après une courte maladie, le 25 mai 1085, en prononçant les célèbres paroles qu’on connaît. Grégoire avait régné douze ans ; mais il devait survivre en la personne de ses successeurs, et le triomphe momentané d’Henri IV ne pouvait être de longue durée. Dans la cathédrale de Salerne, en une chapelle du fond sur la droite, fut enterré Grégoire VII. On restaura son tombeau vers 1578, et le cercueil où il reposait fut ouvert. Le corps était encore enveloppé dans ses habits pontificaux. Sur l’autel même de cette chapelle, on voit aujourd’hui la statue assise du pontife, de grandeur naturelle et d’un travail médiocre. Il a rêvé une société humaine organisée comme un couvent. Moine lui-même, il a eu pour soldats tous les moines de l’univers : il a mis le pontife au-dessus du roi. « Une dignité, dit-il, inventée par des hommes qui ignorent Dieu, ne doit-elle pas être soumise à une dignité que la Providence à créée pour son honneur, et qu’elle a donnée au monde en sa miséricorde ? » A quoi Bossuet a répondu : « La société humaine, la subordination des hommes, l’empire des rois sur leurs sujets, ce n’est pas l’orgueil qui les a établis, c’est la raison ; ce n’est pas le diable, c’est Dieu[1]. » Et cependant l’œuvre de Grégoire a été dans son temps une œuvre de civilisation, car, réduite à son expression modérée et vraie, sa cause était celle de l’esprit et de la liberté contre l’empire de la violence et de l’immoralité.


CH. GIRAUD, de l’Institut.

  1. Defensio declarationis, etc., lib. I, sect. 1, ch. 10.