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eux-mêmes qui avaient participé au concile antipapal de Worms reculent devant les anathèmes de Grégoire[1]. Tout le monde rejeta sur Henri seul le crime de la simonie et le désordre du concubinat. L’excommunication impériale glaça d’effroi l’Allemagne tout entière, et le malheureux Henri en fut terrifié lui-même.

Paralysé dans tous ses actes, il perdit le calme d’esprit qui seul pouvait le sauver. Les prières de sa pieuse mère, les larmes de son épouse, réconciliée avec lui, l’entraînèrent à une résolution qui faillit ruiner sa cause, celle d’aller à tout prix se faire relever de l’excommunication. On était au cœur de l’hiver, et au printemps la diète générale des princes allait se réunir à Augsbourg, où le pape devait se rendre pour prononcer. La Souabe s’entendait avec la Bavière pour fermer les communications du roi avec l’Italie, où le parti impérial avait en Lombardie de nombreux adhérens. Un seul passage restait ouvert à Henri, celui du Saint-Bernard, mais en tout temps de bien difficile accès, et en cette saison de l’année presque impraticable. Frappé de crainte en vue du terme fatal, cédant à une sorte de vertige, Henri n’hésita pas à se jeter presque seul dans les neiges des Alpes, accompagné de sa courageuse épouse, qui portait dans ses bras un enfant en bas âge. Il fallait encore obtenir le passage de sa belle-mère, la comtesse de Suse, marquise de Turin, qui lui fit payer du prix de trois comtés la traversée sur ses terres d’Aoste, et, après d’incroyables difficultés, Henri pénétra en Lombardie. Les évêques et les seigneurs du pays le reçurent avec enthousiasme, croyant que par une audacieuse manœuvre il venait surprendre ses ennemis et s’attaquer au pape, que la révolte des Romains avait à son tour expulsé de l’Italie centrale ; mais, hélas ! quelle ne fut pas la déception des Lombards quand ils apprirent qu’Henri venait, humble et soumis, demander seulement au pape l’absolution de ses fautes et la levée de l’excommunication ! La considération de l’empereur en éprouva un rude coup, et jamais sa cause ne parut plus compromise que par cette humilité. Ce qui s’est passé à Canosse, dans cette forteresse de la comtesse Mathilde, cousine de l’empereur, où le pape avait pris refuge et où Henri vint chercher son pardon, est écrit partout, connu de tout le monde, et je ne veux pas le raconter encore. M. Villemain en a fait l’objet d’un des plus beaux récits de son ouvrage. Les deux adversaires y commirent une faute qui pèse encore sur leur mémoire, l’un par sa prostration, l’autre par son orgueil. Grégoire voulut avilir l’empereur ; plus modéré, plus sensé, il eût mieux assuré la victoire. L’empereur et le pape se trompèrent l’un l’autre par une inévitable

  1. On en trouve un exemple remarquable dans deux lettres épiscopales, échappées à l’attention des historiens, et qu’on peut lire dans la Collectio monumentorum de Hahn, t. Ier, p. 199 et suiv.