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conseiller de cette audacieuse démarche. Il n’y avait que lui placé assez haut pour frapper l’empereur. » Le Registrum de Grégoire VII contient le procès-verbal de cette mémorable élection. Elle n’était pas encore obtenue qu’Hildebrand en éprouva un sincère et profond effroi, ce qui ne l’empêcha pas de se prêter à l’intronisation immédiate. M. Villemain croit que ce fut par une modération affectée qu’il refusa la consécration jusqu’à l’approbation du chef de l’empire, dont l’honneur et le droit avaient été réservés par le décret de Nicolas II. Je pense que ce motif consacré par la légende n’est pas admissible. Hildebrand n’était pas prêtre lorsqu’il fut élu pape ; il n’était que diacre. Il fut ordonné prêtre le 22 mai et consacré le 30 juin[1]. Quant à la lettre hautaine de notification de l’élection à l’empereur, avec avis que, si l’empereur approuvait l’élection du pape, le pape ne laisserait pas impunis les crimes de l’empereur[2], cette lettre encore citée partout aujourd’hui est purement imaginaire ; elle eût été insensée au moment où l’on en rapporte la date. Grégoire s’est exprimé au contraire avec une parfaite convenance à l’égard de l’empereur dans ses lettres du 6 mai à Godefroi le Bossu, duc de la Basse-Lorraine[3], et aux princesses Béatrix et Mathilde. Il n’y a pas trace dans le Registrum de notification, électorale à l’empereur. Le seul écrivain qui en parle est Bonizo, évêque de Sutri, dont le livré Ad omicum est rempli d’histoires fausses ou invraisemblables[4]. M. Villemain a raison de croire cette fameuse lettre supposée. Je ne dois pas dissimuler pourtant que Muratori et après lui M. Mignet admettent la lettre comme véritable, mais avec les expressions adoucies du cardinal d’Aragonia, écrivain hagiographe du XIVe siècle seulement.

Quoi qu’il en soit, on peut considérer la guerre entre l’empire et la papauté comme ouvertement déclarée par l’avènement de Grégoire VII. Les contemporains ne s’y trompèrent pas. Lambert d’Aschaffenbourg constate qu’à la nouvelle de l’élection d’Hildebrand, un sentiment général et profond d’appréhension pénétra tous les esprits. Le personnage était bien connu ; on s’attendait à tout de sa part. « Après la mort du pape Alexandre, dit-il, les Romains élurent inconsulto rege, pour lui succéder, Hildebrand, virum sacris litteris eruditissimum, et connu depuis longtemps par la pratique de toutes les vertus ; mais, comme ce personnage était bouillant de zèle pour les intérêts de Dieu, les évêques de Germanie furent

  1. Voyez Jaffé, Regesta, etc., p. 406.
  2. Nunquam ejus nequitiam portaturum. Watterich, t. Ier, p. 309.
  3. Voyez Jaffé, Registrum, p. 19 et 22.
  4. Le livre de Bonizo est imprimé in extenso dans la collection d’Œfele, t. II, et par extraits dans la collection de Watterich. Les manuscrits de Munich (le seul qu’ait connu Potthast) et du Vatican donnent des leçons très différentes.