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supérieure du pape y était sérieusement contestée. Deux abbés, ceux de Fulde et d’Hersfeld, grands et riches monastères, ayant été condamnés pour refus de prestations à l’archevêque de Mayence, dans un synode provincial, appelèrent de la décision en cour de Rome, et Henri, voyant dans cet appel un attentat contre l’autorité impériale, promit d’en empêcher l’exécution. Lorsqu’on apprit à Rome cette résolution, le pape en fut fort offensé. À ce grief se joignait celui de nourrir les soldats avec les biens des couvens, et de vendre les bénéfices ou d’en favoriser le trafic. Hildebrand n’en parlait qu’avec indignation. Il résolut de frapper un grand coup et de démasquer la dernière batterie de son plan d’attaque contre la corruption du siècle. Il ne suffisait pas d’avoir entrepris la réforme morale de l’église et d’avoir rendu la papauté indépendante, il fallait encore soumettre l’état à l’église ; ce troisième point était le complément nécessaire et la garantie des deux premiers. Il fallait à tout événement demander le plus pour s’assurer du moins. L’Angleterre résistait, et Guillaume n’était pas d’humeur à céder. En France, les Capétiens raffermis s’étaient relevés de la docilité du roi Robert. Pour l’Allemagne, l’occasion était belle. On avait affaire à un enfant, l’empire était miné par la révolte. Il fallait s’attaquer vivement à lui, et par lui imposer aux autres rois la suprématie de la papauté. Le but était-il chrétien[1] ? Peut-être, mais les moyens furent marqués du sceau des passions humaines. Le pape Alexandre, inspiré par Hildebrand, cita le jeune roi (1072) à comparaître à Rome pour s’y justifier des actes qui lui étaient imputés. C’était une procédure inouïe encore dans les fastes de l’église. Il y avait eu des condamnations ecclésiastiques contre des princes régnans, mais le pape n’avait point encore mandé de roi devant son tribunal. L’entreprise parut excessive à de sages esprits. Ce n’était pas au pape Alexandre qu’il appartenait de la mener à bout ; il mourut le 21 avril 1273, avant qu’Henri IV eût répondu à la sommation.

Sa succession ne pouvait échoir qu’à Hildebrand. Il était élu par l’opinion avant de l’être par les cardinaux, aux termes du décret organique de Nicolas II. Il fut acclamé presque au moment même où Alexandre expirait. « Il semble, dit avec raison M. Villemain, qu’après tant de pontificats créés et dirigés par lui son tour de régner était naturellement venu. D’ailleurs, par cela seul que les affaires se brouillaient du côté de l’Allemagne, le plus hardi défenseur de l’église en devenait le chef nécessaire. Le récent décret d’Alexandre II, qui mandait Henri IV à Rome, ne laissait plus en réalité pour l’église romaine d’autre pape qu’Hildebrand, intrépide

  1. Voyez pourtant M. Laurent, ouvrage cité, p. 54 et suiv.