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que six mois, et l’empereur désigna en décembre 1048 Brunon d’Egisheim, descendant d’Étichon d’Alsace et son parent, lequel fut pape sous le nom de Léon IX : teutonicum natione et stirpe regali progenitum, dit le moine du Mont-Cassin. Selon la chronique française d’Aimé, « cestui pape Lyon estoit chéri de lo impéreor, estoit moult bel et estoit roux, et estoit de stature seignoriable. » Par une nouvelle bizarrerie de la fortune, ce fut ce pape allemand, parent de l’empereur, qui produisit Hildebrand, ardent patriote romain, sur la scène du monde. Beaucoup de versions ont couru dans les chroniques au sujet de cette mémorable et providentielle rencontre. Je ne crois pas à celle qui fait trouver Hildebrand à Worms, au moment de l’élection de Léon IX ; je ne crois pas davantage à celle qui fait passer Léon IX par Cluny, en allant à Rome. Si l’on pèse attentivement la valeur et la probabilité des témoignages, on doit s’arrêter à ceux qui nous montrent Léon IX arrivant de Worms à Besançon et y recevant l’abbé de Cluny accompagné du moine Hildebrand, accourus pour lui rendre hommage[1]. Quoi qu’il en soit, il est de tradition bien établie qu’à partir du moment où Hildebrand eut entretenu Léon IX il exerça sur l’esprit du pape élu l’ascendant d’un esprit supérieur ; mais encore ici la légende a sa bonne part, elle nous dépeint Léon IX voyageant de Worms à Rome avec un luxe oriental, revêtu de riches habits pontificaux et mitre ou tiare en tête, comme s’il était déjà pape consacré, lui qui n’avait encore que la nomination impériale, ce qui lui aurait attiré une vertueuse remontrance d’Hildebrand. M. Watterich a déjà signalé l’invraisemblance de ce fait, présenté par des légendaires préoccupés comme le premier acte public de l’agression grégorienne contre le pouvoir impérial. Hildebrand était trop habile pour entamer à ce moment des hostilités intempestives contre un prince irréprochable, investi d’un pouvoir émané de ce décret de Léon VIII, dont nous avons parlé. Le génie d’Hildebrand choisissait mieux son temps pour engager la lutte. Des monumens irrécusables nous le montrent très soigneux de ménager le pouvoir électif de l’empereur, et dans sa correspondance il nous apprend lui-même qu’il a eu les meilleures relations avec l’empereur Henri III[2]. La légende a donc ici au moins exagéré, bien qu’il soit permis de croire à quelque fond de vérité dans cette affaire. Hildebrand, zélé Italien[3], aura probablement réclamé

  1. Voyez la collection de Watterich, t. Ier, et Jaffé, Regesta, p. 367.
  2. Heinricus imperator, inter italicos in curia sua speciali honore me tractavit. Registr., I, 19. — Imperator Heinricus, pater tuus, dit-il à Henri IV, ex quo me cognovit, pro sua magnitudine honorifice, et prœ ceteris sanctœ romanœ ecclesiœ filiis caritative habuit. Registr., II, 44.
  3. Jam ab ineunte œtate terram vestram et libertatem hujus gentis valde dileximus, etc., dit-il aux Romains, dans le Registrum, II, 39.