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Grégoire VI, acceptant sa déposition par ces chrétiennes paroles prononcées au synode de Sutri, et qu’on lit dans Bonizon en la collection d’Œfele : « Moi, Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, je me confesse indigne du pontificat romain, à cause de la honteuse simonie et de la vénalité qui, par la perfidie du démon, l’antique ennemi des hommes, s’est glissée dans mon élection au saint-siège. » Hildebrand suivit dans l’exil son bienfaiteur, qui mourut sur les bords du Rhin, probablement en 1047. Hildebrand dut à cette circonstance d’avoir une première idée de l’état des esprits en Allemagne. Il vint ensuite s’enfermer à Cluny[1], l’une des grandes métropoles des monastères de l’Occident, et c’était là où, comme dit M. Mignet, « soumis à l’autorité de la règle monastique, nourrissant dans son âme des sentimens pieux et amers, il s’indignait des désordres de l’église, et il gémissait en pensant que la ville des apôtres était devenue la servante des princes. La violence, la cruauté, les passions effrénées des hommes de guerre, qui ne reconnaissaient aucune règle au-dessus de la force et qui opprimaient partout les pauvres et les faibles, le pénétraient de douleur et de tristesse. Il était encore plus troublé par la dégradation du sacerdoce. L’achat des dignités ecclésiastiques, les mœurs violentes et désordonnées des évêques féodaux et des prêtres incontinens, soulevaient tous ses sentimens chrétiens. Il rêvait dans le cloître de Cluny la régénération de l’église, l’indépendance et la grandeur du pontificat. Il souhaitait de voir arriver le jour où la loi chrétienne pourrait réprimer la puissance militaire, où le pape, son interprète, dominerait l’empereur, où l’on imposerait le frein de la morale aux rois, le respect de la faiblesse aux puissans, et l’habitude du sacrifice aux prêtres. »

Oui, voilà bien, tracé d’une main ferme, le plan de réforme de Grégoire VII ; il porte l’empreinte austère du cloître, aussi le cloître sera-t-il l’un des puissans instrumens de son exécution. Une circonstance spéciale a dû contribuer à la conception de ce profond dessein pendant les deux années (1047 et 1048) que Hildebrand a passées à Cluny. L’habile Henri III, fatigué des embarras que lui donnait la tutelle de la papauté, a pris à cette époque la résolution de placer sur la chaire de saint Pierre des évêques allemands qui lui inspiraient plus de confiance que les Italiens. Il y nomma Clément II, après la déposition de Grégoire VI, et le prit sur le siège de Bamberg, en Franconie. Clément II ne régna qu’un an, et Henri III désigna pour le remplacer Poppon, évêque de Brixen, en Tyrol, et natif du Norique : aussi l’appela-t-on le Bavarois. Damase ne régna

  1. Voyez, sur Cluny, la Bihlioth. Cluniacensis de Marrier et Duchesne, Paris, 1674, in-f°, et l’Hist. de l’abbaye de Cluny, par M. Lorain, Paris, 1845, in-8o.