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arbre ou d’un homme restent les mêmes, qu’elles sont décomposées par des causes extérieures ou altérées à l’intérieur par le cours de l’existence de manière à devenir finalement impuissantes pour l’accomplissement de leurs fonctions primitives. Les parties constituantes d’une société humaine au contraire sont soumises, jour par jour, à des procédés de rénovation matérielle et de progrès moral. Ainsi ce que nous entendons chaque jour de la semaine sur la décadence de l’empire ottoman, qu’il n’est plus qu’un cadavre, un arbre desséché, et ainsi de suite, n’est qu’un galimatias pur et absolu. »


Toutefois, pour que cette régénération progressive d’un état puisse s’accomplir, il est indispensable qu’il jouisse de la tranquillité au dedans comme de la sécurité au dehors, et ces deux conditions manquaient entièrement à l’empire ottoman. Méhémet-Ali, par ses talens militaires et administratifs, avait non-seulement réussi à se constituer en Égypte une domination presque indépendante, mais il menaçait sans cesse la Porte de dangers et d’envahissemens nouveaux. Enfin, en 1832, la victoire de Koniah lui livra la Syrie, l’Asie-Mineure, et lui ouvrit le chemin de Constantinople. La Porte, éperdue, fit appel à tous ses alliés. Une flotte russe se dirigea sur Constantinople, toutefois un arrangement conclu sous l’Inspiration de l’amiral Roussïn, notre ambassadeur, détermina le sultan à renvoyer le secours si promptement offert. Méhémet-Ali, se refusant à sanctionner le traité de Kutaïa, fit avancer ses armées, la protection de la Russie fut invoquée de nouveau, sa flotte reparut, et 15,000 hommes de troupes russes débarquèrent sur les rives du Bosphore. Méhémet-Ali dut se contenter dès lors de la Syrie et du district d’Adana, et le traité d’Unkiar-Skelessi, conclu sous ces auspices, livra la Porte à la sauvegarde dominatrice de son plus redoutable ennemi. Cependant la paix n’avait amené aucune pacification réelle. Le sultan Mahmoud brûlait de se venger de son vassal révolté, Méhémet-Ali nourrissait les projets de conquête les plus chimériques ; des deux côtés, toutes les ressources se consumaient en armemens exagérés, et les alarmes de la Porte comme ses aspirations belliqueuses la rejetaient de plus en plus dans les bras de la Russie. Il est naturel que cette situation ait excité les inquiétudes et le mécontentement des autres puissances européennes, qui voyaient un état de choses ruineux pour le sultan à la veille sans cesse d’être aggravé encore par les complications les plus menaçantes pour la paix générale. Aussi Méhémet-Ali, l’auteur incontestable des malheurs passés, le fauteur incontestable des nouveaux troubles, devint-il l’objet d’une animosité spéciale.