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parlant des inconvenances calculées que lord Palmerston se permettait souvent envers M. de Talleyrand lui-même, son biographe se borne à dire que « chez lui la bosse de la vénération n’était pas fort prononcée. » Ce n’est pas précisément la vénération que la France demande pour ses agens au dehors ; il lui est pourtant bien permis de revendiquer pour eux la courtoisie que le souci de leur propre dignité porte les cours européennes à pratiquer comme à réclamer en faveur du caractère représentatif, et dont les voyageurs rencontrent des manifestations si touchantes jusque chez les Arabes du désert et dans la cabane des Peaux-Rouges.

De pareils défauts, de pareils travers, bien qu’imparfaitement connus et compris du public, n’ont cessé d’être déplorés et stigmatisés en Angleterre par tout ce qui était le mieux placé pour se former sur la matière une opinion compétente. Les chefs du parti conservateur, alors le moins rapproché de la France par ses tendances générales, saisissaient toutes les occasions de faire leurs réserves, et le même sentiment se manifestait souvent dans une portion notable du parti whig, comme dans le sein même du ministère ; mais, tout-puissant sur l’esprit de lord Melbourne, son beau-frère, lord Palmerston s’était fait dans les rangs du parti libéral avancé une clientèle qui forçait ses collègues à compter avec lui et à subir sa direction presque exclusive dans les limites de son département. Les crises n’en étaient pas moins fréquentes, et quelquefois elles faisaient explosion. Ainsi en 1846 la première tentative de lord John Russell pour constituer un gouvernement libéral, lors de la dissolution du cabinet de sir Robert Peel sur la question des corn laws, échoua par la résistance décidée de lord Grey contre la rentrée de lord Palmerston aux affaires étrangères. Lord John Russell s’efforça de son mieux plus tard de régler et de contenir tout ce que sa nature élevée n’avait cessé de répudier ; mais la tâche n’était point facile. Enfin la rupture éclata, et l’acte de haute politique et de haute justice longtemps différé put s’accomplir. Le noble souci de répandre en Europe tous les bienfaits dont l’Angleterre avait joui sous le régime parlementaire était le motif proclamé et généralement accepté de la politique à laquelle lord Palmerston avait alors donné son nom, mais sa sincérité devait être mise à une double épreuve. Lorsqu’en 1848 le premier essai des forces modernes de la commune de Paris triompha du gouvernement constitutionnel, les plus avertis furent étonnés de voir lord Palmerston, cédant aux plus mesquines animosités, applaudir seul et très hautement à la catastrophe. Quand, trois ans après, un acte d’une violence et d’une perfidie inouïe rétablit en France le plus fatal des despotismes, presque seul encore lord Palmerston apportait ses