Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/595

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’orage sur la nature, une pure perturbation sans profit. Si la guerre a ses exigences, la paix a aussi les siennes, et l’intérêt des nations se compose de trop d’intérêts combinés pour qu’il soit permis aux hommes d’état de les mettre aussi témérairement en péril. Nous reconnaissons volontiers chez lord Palmerston une grande énergie, une intrépidité peu commune, une sagacité politique très remarquable. Il a été souvent le fidèle allié de la France. Sur les principales questions de notre époque, la création des royaumes de Grèce et de Belgique, l’appui donné aux dynasties constitutionnelles en Espagne et en Portugal, et jusqu’à un certain point même, sur la question italienne, ses vues étaient les nôtres ; mais en politique la mesure et l’opportunité font tout, et les meilleures causes peuvent être cruellement desservies quand des moyens répréhensibles sont mis avec persistance à leur service. Lord Palmerston se refusait habituellement à distinguer entre les légitimes aspirations des peuples en souffrance et les passions purement révolutionnaires qui surgissaient derrière elles. Trop souvent il faisait appel à ces dernières avec un cynisme surprenant sans être en mesure de leur offrir la moindre protection quand survenait l’explosion provoquée par ses paroles, par ses agens ou par ses auxiliaires. Ceux-ci se plaignaient alors, non sans raison, d’avoir été abandonnés et sacrifiés, tandis que les gouvernemens, outragés dans leurs sentimens et dans leurs intérêts, se vengeaient par de sanglantes représailles ou par des répressions redoublées. C’est précisément pour n’avoir point voulu suivre l’Angleterre jusqu’au bout dans ces voies compromettantes que le roi Louis-Philippe et ses principaux ministres ont été en butte tant de fois aux diatribes de lord Palmerston et de la presse dont il disposait. Nous ne contestons nullement aux gouvernemens réputés justement les plus éclairés le droit de contribuer au progrès général de leurs principes, non-seulement par leur exemple invoqué et par leurs conseils, mais au besoin par de légitimes remontrances ; nous admettons même que dans certains cas exceptionnels ils prennent ouvertement fait et cause pour l’insurrection, comme dans la guerre d’Amérique et les soulèvemens de la Grèce et de la Belgique. Cependant le peu de repos que la guerre et les difficultés intérieures laissent aux états deviendrait à peu près illusoire, s’il était érigé en doctrine et en pratique que chaque nation a le droit de faire prévaloir, à toute heure et par tous les moyens, chez les autres les vues et les institutions qui lui paraissent les meilleures. Une pareille ingérence ne serait point tolérée par les puissances en état de la repousser, par l’Angleterre moins que par toute autre ; était-il équitable ou généreux de l’imposer aux faibles par cela seul qu’ils n’étaient point capables d’y résister ?