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leurs occupations et à leurs passe-temps favoris. Toujours très répandu dans le monde, il ne se refusait à aucun des plaisirs de la fashion, dont il était l’idole. Sans beaucoup parler lui-même, il ne cessait d’élever et de faire courir des chevaux, et d’apparaître devant le public avec tout le prestige d’un des patrons du turf, jeune, excellant dans tous les exercices du corps, il se distinguait dans toutes les chasses, dans toutes les branches du sport. Son château de Broadlands, en Angleterre, se remplissait d’objets d’art et servait de rendez-vous aux notabilités les plus diverses. Dans la terre inculte et délaissée dont il avait hérité à l’extrémité de l’Irlande, un port et des routes tracés sous ses ordres, des écoles construites, une impulsion prodigieuse donnée à l’exploitation, en firent un bienfaiteur dont le renom lui survivra longtemps. Esprit sagace, clairvoyant, mais essentiellement plaisant et critique, il n’avait rien, comme on le sait, de cette généreuse exaltation dont s’inspire la véritable éloquence. Toutefois, sans jamais cesser d’ânonner péniblement, il arriva, par un long exercice de la parole publique, à la manier avec un grand art, avec un succès toujours croissant jusqu’à la fin, et la chambre des communes ne pouvait que lui savoir gré d’avoir refusé deux fois, pour demeurer dans ses rangs, les grandes fonctions de gouverneur de l’Inde ; mais dans la conversation ses vives et piquantes railleries, ses traits imprévus, cachant sous quelque formule en apparence frivole des profondeurs incommensurables de fine et judicieuse réflexion, lui assuraient partout le premier rang. La plume à la main, il était plus brillant et plus redoutable encore. C’est incontestablement le maître le plus accompli du langage diplomatique qu’il nous ait été donné de rencontrer, soit qu’il voulût semer les mille embûches que recouvre l’idiome international, soit qu’il s’agît de les mettre au jour. Il se faisait un jeu de rédiger lui-même, séance tenante, au foreign office, ces pièces importantes qui sont habituellement livrées à l’élaboration professionnelle des bureaux. « Vous êtes à peu près infatigable, m’écriai-je un soir, témoin de la rapidité avec laquelle il avait accompli, par pur délassement, un de ces véritables exploits littéraires. — Ce que je fais me fatigue rarement, répliqua-t-il en souriant ; c’est ce que je n’ai pas encore pu faire, » parole étrange qui témoigne de toute l’ardeur qui se combinait dans son tempérament avec une persévérance peu commune. Quand il vit le terme de sa longue carrière approcher sensiblement, il dit à ceux qui l’entouraient : « Je crois être aujourd’hui l’homme politique de l’Europe qui a le plus travaillé. » Où trouver une plus modeste fierté ?

En 1855, lord Palmerston avait soixante et onze ans et près de cinquante ans de vie parlementaire et officielle ; mais ses forces, ses