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en bas, un quart de cercle emphatique. J’ai assisté à des dictées faites à l’aide de la dactylologie ; elles ne donnent pas toujours des résultats irréprochables. Si l’enfant n’a pas été initié d’abord au sujet dont on va l’entretenir, si le professeur se hâte, s’il ne sépare pas chaque mot par un mouvement suspensif, si par une trop rapide inflexion des doigts les lettres ne sont pas exactement formées, l’élève se trouble, se préoccupe uniquement de suivre de l’œil les signes isolés, n’a plus le temps de saisir la corrélation qui existe entre eux, et il commet des erreurs qui parfois sont de véritables non-sens ; mais dès que ces enfans reprennent possession de la mimique, c’est-à-dire de leur langage naturel, de celui que leur infirmité même perfectionne de la façon la plus ingénieuse, comme ils sont maîtres d’eux et quelle sagacité ils déploient ! On m’a « récité » des fables ; j’ai vu jouer le Renard et le Corbeau, le Bouc et le Renard, le Savetier et le Financier ; le geste avait des inflexions comme la voix ; la finesse du renard, la vanité du corbeau, la bêtise du bouc, la gaîté, l’inquiétude, le marasme du savetier, l’importance du financier, étaient rendus avec des nuances quelquefois très fines. C’était Là le résultat d’une étude, je le sais : on apprend à mimer, comme on apprend à déclamer ; je n’en restai pas moins frappé de voir avec quelle précision la mimique parvenait à faire comprendre dans tous les détails un petit drame à deux personnages.

Les exercices de français qu’on leur impose pour les forcer à émettre leurs idées, leur enseigner à raconter un fait, à écrire une lettre, sont intéressans à parcourir, car ils prouvent combien la plupart de ces pauvres âmes sont arides et dénuées ; c’est d’une stérilité qu’on ne peut que très difficilement se figurer. J’ai entre les mains plusieurs de ces « compositions » où rien n’est composé : jamais je n’ai vu, même dans les administrations les moins lettrées, des procès-verbaux plus secs. Ce sont des récits de promenade, de voyage, l’emploi d’une journée : la date, l’heure, le fait, rien de plus ; un seul temps de verbe, le prétérit indéfini : « nous nous levâmes, nous sortîmes, nous jouâmes, nous mangeâmes, nous nous couchâmes. » Trois adverbes reviennent incessamment, d’abord, ensuite, enfin-, on cherche une impression, un mouvement quelconque, une réflexion, une pensée, un éclair, rien ! — Dans une seule de ces narrations, je trouve une observation : « le temps paraissait favorable ; » c’est peu de chose, et cela détonne sur l’uniformité générale, comme une touche de vermillon sur une grisaille.

S’ils ont peu d’imagination intellectuelle, ils possèdent par compensation une sorte d’imagination musculaire qui semble être pour la plupart une prédominance organique. Il n’y a pas d’exercices corporels, de tours de force et d’adresse qu’ils n’inventent pour