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est juste de reconnaître qu’elle avait été entrevue par le ministère tory et qu’elle avait même reçu un commencement d’exécution.

Lord Mayo, vice-roi des Indes, nommé par le ministère tory, s’était mis en relations avec le roi des Afghans. Chir-Ali-Khan, fils et successeur de Dost-Mohammed, vint à Umballah, et, dans une entrevue avec le vice-roi, il se plaça sous le protectorat britannique, duquel il obtenait en retour le paiement d’un subside annuel et la garantie de sa couronne. On s’en émut à Saint-Pétersbourg. La presse russe vit dans l’alliance conclue entre Chir-Ali et lord Mayo le prélude d’une ligue offensive ; elle rappela que précédemment l’Angleterre avait accordé son appui moral et son concours matériel à la Boukharie contre la Russie ; allégation inexacte, mais bien faite pour réveiller en Russie la défiance de l’opinion publique. Afin de couper court à de fausses interprétations, le cabinet de Saint-James crut devoir envoyer à Saint-Pétersbourg l’un des fonctionnaires les plus éminens de l’administration anglo-indienne, M. F.-D. Forsyth, avec mission d’exposer la nature et la portée réelle des engagemens contractés avec Chir-Ali, et de proposer un règlement général de la question asiatique par rétablissement d’une zone intermédiaire qui garantirait, en le limitant, le champ d’action et d’influence des deux pays. La chute du ministère tory mit fin à ces négociations, que les whigs ne jugèrent pas à propos de poursuivre. — Pas de discussions ! pas d’embarras ! Laissez faire ! Ce mot d’ordre de l’école de Manchester devait recevoir son application dans les affaires d’Asie comme dans les affaires d’Europe. L’histoire dira si cette politique, uniquement vouée aux intérêts matériels et aux choses du présent, est bien conforme à la dignité et à la prospérité de la Grande-Bretagne. Quoi qu’il en soit, depuis la chute du ministère tory tout examen des questions asiatiques était relégué au dernier plan ; les interpellations faites au parlement n’avaient point d’écho et ne recevaient que d’évasives réponses ; la presse anglaise se détournait de ces questions lointaines et fâcheuses. Le Times lui-même, peu de jours avant l’arrivée du comte Schouvalof à Londres, traitait de rêves, de contes de fées, les préoccupations que certains esprits ressentaient au sujet de l’Asie centrale ; il déclarait même qu’après tout il valait mieux pour l’Angleterre avoir pour voisins dans l’Inde les Russes que les Afghans !

Cette indifférence, plus ou moins feinte, fit place au désappointement le plus vif lorsque l’on apprit à Londres que décidément la Russie allait entreprendre une expédition contre Khiva. Il ne s’agissait plus cette fois de paroles, de projets, de combinaisons à longue échéance ; c’était un acte immédiat, dont l’opinion nationale en Angleterre, si longtemps froide sur ces questions allait maintenant exagérer la portée et les conséquences. Le ministère de M. Gladstone fut donc obligé de sortir de sa réserve et d’inviter le cabinet de Saint-Pétersbourg à faire connaître ses intentions sur l’ensemble de la politique asiatique,