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avant de rentrer dans les conditions fixes des puissances régulières, a besoin de se défendre de la désorganisation complète dont elle est temporairement menacée.

ch. de mazade.


LES RUSSES DANS L’ASIE CENTRALE.

l’expédition de khiva.

L’attention de la Russie et de l’Angleterre se porte de nouveau du côté de l’Asie centrale. L’Europe ne saurait rester indifférente. Il s’agit là d’une question qui, en d’autres temps, aurait éveillé la sollicitude de toutes les chancelleries, car elle se rattache directement au grand problème de l’équilibre européen. Deux grandes puissances se disputent la prépondérance en Asie. La Russie, fidèle aux traditions de Pierre le Grand, poursuit sa marche vers le sud ; l’Angleterre, maîtresse de l’Inde, s’avance vers le nord. Les deux états doivent se rencontrer, se heurter peut-être, et cette éventualité, qui chaque jour se rapproche, est grosse de complications pour l’avenir de la politique européenne. Depuis plus de trente ans, c’est un petit pays, le khanat de Khiva, oasis fertile plantée au milieu des déserts, qui est le principal théâtre de la lutte d’influence à laquelle se livrent la Grande-Bretagne et l’empire des tsars. Khiva est, pour ainsi dire, le nœud de la question asiatique. La Revue a déjà consacré d’importans travaux à l’étude de ces lointaines régions. Un publiciste qui avait fait un long séjour dans l’Inde, M. de Jancigny, et un homme d’état éminent, M. Thouvenel, ont exposé, dès 1840 et 1841[1], les plans de la politique russe et les manœuvres de la diplomatie anglaise à l’intérieur de l’Asie. Il n’est pas sans intérêt de rappeler aujourd’hui ce court fragment de l’article remarquable publié en 1841 par M. Thouvenel : « Le commerce avec l’Asie centrale serait susceptible d’une grande extension, si la Russie parvenait, sinon à conquérir la province de Khiva, du moins à y faire prédominer son influence. Il serait facile alors d’ouvrir à travers les steppes des Turcomans, qui de la mer Caspienne à Ourghendj couvrent une étendue de 800 verstes, une route protégée par plusieurs forts. On a même songé à lier par un canal l’Oxus à la mer Caspienne… L’un ou l’autre de ces travaux une fois achevé, la mer Caspienne verrait renaître son ancienne activité, et la Russie, mise en contact avec le Turkestan, la Chine et le Caboul, n’aurait plus qu’un pas à faire pour étendre son commerce jusque dans les factoreries de l’Inde anglaise. On comprend donc aisément toute l’im-

  1. L’Hindoustan, l’expédition de Khiva, par M. A. de Jancigny, livraison du 15 mai 1840 ; — Progrès de la Russie dans l’Asie centrale, par M. Thouvenel, livraison du 15 décembre 1841.