Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/491

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce pays et sur les difficultés qu’elle y soulève, pour se convaincre qu’un tel reproche n’est pas fondé.

En 1867, on découvrit que quelques groupes de chrétiens échappés à la grande persécution du siècle dernier s’étaient conservés secrètement dans l’intérieur du pays, où ils s’étaient transmis de génération en génération le dépôt de la foi et des pratiques du culte mêlées à quelques cérémonies idolâtres. Ces chrétiens naturellement cherchèrent à se mettre en rapport avec les missionnaires, vinrent les consulter dans les villes où ils résidaient et renouveler leur adhésion religieuse. Les autorités japonaises s’en émurent, des mesures sévères furent édictées contre eux, et le gouvernement du mikado publia un décret pour défendre l’exercice de la religion chrétienne, qualifiée par eux d’abominable.

M. Léon Roches, qui représentait alors la France au Japon, releva énergiquement les termes insultans de ce décret, qui atteignait dans leur croyance toutes les puissances chrétiennes en relations avec le mikado, et il fut soutenu dans cette démonstration par plusieurs de ses collègues, notamment par le ministre des États-Unis. Il y a lieu toutefois de remarquer que le traité du 9 octobre 1858, qui règle nos rapports avec l’empire du mikado, ne nous confère aucun droit spécial de protection sur les Japonais qui embrassent la religion chrétienne. Il n’y a qu’une seule des clauses de ce traité, l’article 41, qui ait trait au culte catholique, et cette clause n’a en vue que les sujets français. Elle est ainsi conçue : « Les sujets français au Japon auront le droit d’exercer librement leur religion, et à cet effet ils pourront y élever, dans le terrain de leur résidence, les édifices convenables à leur culte, comme églises, chapelles, cimetières, etc. Le gouvernement japonais a déjà aboli dans l’empire l’usage des pratiques injurieuses au christianisme. » M. Roches et les agens qui s’associèrent à sa demande rappelèrent cette dernière phrase de l’article 4 du traité, et ils s’efforcèrent de faire sentir aux ministres du mikado combien il serait impolitique en toute circonstance, et particulièrement dans les débuts d’une administration nouvelle, d’indisposer ainsi gratuitement les puissances étrangères ; ils présentèrent en outre des observations purement amicales en faveur des chrétiens persécutés, qui faisaient appel à la modération du gouvernement japonais. Il y a lieu d’ailleurs de constater que nos missionnaires, au lieu de tomber dans les exagérations d’un zèle intempestif, se sont tracé une ligne de conduite prudente. Ils ne réclament rien au-delà de ce qui est stipulé en leur faveur par les traités, de ce qui leur est assez justement dû, car, si le commerce européen pénètre aujourd’hui dans les vastes marchés de l’extrême Orient, ce sont eux qui depuis longtemps lui ont frayé la voie.