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fortement dispense jusqu’à un certain point celui qui la possède de l’obligation de savoir ? Soit, s’il ne s’agissait que du génie et de ses œuvres. Encore pourrait-on répondre que depuis Leo-Battista-Alberti jusqu’à Michel-Ange, depuis Léonard jusqu’à Poussin, les maîtres les plus illustres, — architectes, sculpteurs ou peintres, — ont été en réalité parmi les hommes les plus instruits de leur temps ; mais il s’agit ici surtout du talent et des moyens de le développer. Or je ne suppose pas qu’on regarde comme une précaution superflue, encore moins comme un danger, de l’approvisionner d’informations historiques et morales aussi bien que de renseignemens purement extérieurs. S’il fallait d’ailleurs citer un exemple des progrès que peuvent déterminer, même au point de vue des inspirations personnelles, les études archéologiques envisagées de haut et résolument poursuivies, nous le trouverions dans ces travaux successifs de feu M. Léon Vaudoyer, qu’une exposition ouverte à l’École des Beaux-Arts livrait, il y a quelques jours, aux regards du public.

L’ensemble des dessins laissés par l’éminent architecte se compose de deux séries, l’une comprenant tout ce qui se rattache à la reproduction textuelle ou à la restauration des monumens du passé, l’autre tout ce qui est proprement de l’invention de l’artiste, depuis le Tombeau du général Foy jusqu’aux nouveaux corps de bâtimens du Conservatoire des arts et métiers, à Paris, jusqu’à cette imposante cathédrale de Marseille qui sera certainement dans l’avenir un des plus beaux témoignages, un des plus éloquens souvenirs de l’art au XIXe siècle. Comment ne pas être frappé en examinant ces deux séries de l’étroite connexité qui existe entre elles ? Comment ne pas reconnaître dans les œuvres de ce talent, à l’époque de sa maturité, l’influence qu’exerçaient encore sur lui les exemples antiques, étudiés de si près, si profondément médités pendant les années de la jeunesse ? Je ne prétends pas dire assurément que M. Vaudoyer n’ait rien fait de plus que s’approprier ces exemples et en transcrire la lettre avec une sorte de piété superstitieuse. Son admiration pour l’antiquité ou le souvenir des leçons que lui a fournies l’art du moyen âge ne le domine pas si bien qu’il y sacrifie les droits de sa propre imagination ou le respect des conditions imposées par les caractères tout modernes de ses tâches. En construisant une église, il ne veut nous donner ni la contrefaçon d’un temple païen, ni celle d’un édifice chrétien au temps où, pour maintenir debout les murs qu’on avait élevés, on ne savait que recourir à l’emploi, de certains appuis naïvement apparens. La cathédrale de Marseille prouve assez à cet égard les ressources personnelles de celui qui en a conçu les plans. La majestueuse originalité de l’ordonnance générale, le choix des élémens décoratifs ou des