Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/451

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son esprit, et cependant il avait saisi avec une remarquable habileté le rôle que doit jouer l’histoire d’Allemagne dans une étude approfondie de Grégoire VII. Hâtons-nous de le dire, cet inventaire des desiderata du livre de M. Villemain n’a pour objet que d’expliquer ses scrupules et le long espace de temps qu’il a mis à couver son œuvre de prédilection, dont il ne fut jamais complètement satisfait malgré l’assurance qu’il tirait de la méditation de Baronius, du volume[1] des Bollandistes relatif à Grégoire VII, des principaux annalistes ou chroniqueurs connus, pour le XIe siècle, et par-dessus tout de son admirable intelligence des situations et de sa belle faculté de manier la grande langue de nos chefs-d’œuvre littéraires. Son talent est tout entier, brillant d’éclat et de fraîcheur, dans ces deux volumes dont nos mains ont peine à se détacher. L’introduction qui précède l’histoire proprement dite de Grégoire VII est à elle seule un beau morceau d’érudition et d’éloquent langage. L’esprit général est peut-être trop empreint des impressions de jeunesse de M. Villemain, car, chose singulière, le brillant écrivain français s’est rencontré généralement d’accord avec le manifeste éclatant du parti catholique libéral en Allemagne, publié sous le pseudonyme de Janus, mais sorti pour la meilleure part de la plume savante et respectée de M. Döllinger, presque au moment où mourait M. Villemain. La prépondérance obtenue par le parti ultramontain en 1869 a rejeté beaucoup de talents distingués vers les appréciations sévères d’une autre époque.

Nous avions sincèrement applaudi, avec la génération libérale de 1828, au jugement équitable et vrai de M. Guizot sur le grand personnage et sur l’époque mémorable dont il s’agit. Nos impressions étaient fondées sur des raisons d’une nature trop élevée pour céder à de petites et accidentelles objections : aussi, malgré l’abus qu’un parti rétrograde a voulu faire de l’impartialité de notre grande école historique du XIXe siècle, nous suivrons l’exemple de M. Mignet, que nulle autre considération n’a détourné de la voie de justice dont est marquée son érudite et supérieure appréciation de la lutte du sacerdoce et de l’empire sous les Franconiens et sous les Hohenstaufen. Nous serions cependant moins rigoureux que lui pour la maison de Souabe, que M. Huillard-Bréholles a trop maltraitée peut-être dans un monumental ouvrage, et dont M. de Raumer nous semble avoir mieux compris le génie et l’ambition que M. de Cherrier lui-même ; mais là n’est point la question dont il s’agit

  1. M. Villemain n’a pas employé non plus la compilation indispensable : Vitæ romanorum pontificum, publiée par M. Watterich. Elle paraissait à peine lorsque M. Villemain achevait de polir son ouvrage. Il est plus regrettable qu’il n’ait pas usé des Regesta pontificum romanorum, que Jaffé avait publiés en 1851. Ils lui auraient épargné quelques erreurs et l’auraient utilement guidé sur bien des points.