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empêcha le triomphe de la cause opposée, et le grand pape put dire avec tristesse, en rendant le dernier soupir : Dilexi justitiam et odivi iniquitatem ; ideo morior in exilio.

Lors donc que, le but sérieux et réel de la lutte étant atteint et l’œuvre de Grégoire VII accomplie par la conquête de l’indépendance de l’église, pro libertate ecclesiœ decertare, la papauté, voulant obtenir après la liberté la domination, a franchi les limites d’une équitable défensive pour entrer dans la voie contestable des ambitions mondaines, alors la lice a changé d’aspect et le combat de nature. Alors l’esprit humain s’est ému et ravisé ; les sages, qui avaient été circonspects, ont passé à la résistance, et les pouvoirs légitimes, se mettant en garde à leur tour contre des prétentions excessives, ont engagé une nouvelle lutte pour rétablir l’équilibre entre les puissances qui se disputaient le monde. Le gouvernement de l’église avait dévié de sa mission et compromis son autorité ; alors de nouveaux conflits se sont élevés, au grand dommage de la chrétienté, et cette fois avec des échecs nombreux et irrémédiables pour la papauté. Le spectacle affligeant des ardeurs de la lutte contre les Hohenstaufen avait rendu réservé le sage Louis IX lui-même. L’intempérance intempestive de Boniface VIII détermina les manifestations gallicanes, et les abus de l’administration spirituelle, joints aux schismes et aux scandales des papes politiques du XVe et du XVIe siècle, ont suscité la réforme de Luther et provoqué la scission de la chrétienté européenne.

La prudence et la mesure sont donc bien difficiles à garder, même par le génie, même par la vertu, dans la conduite des meilleures causes. C’est une loi de la vie humaine, et tous en ont subi plus ou moins la fatale destinée. L’adversaire de Grégoire VII, l’empereur Henri IV, a été moins encore à l’abri des reproches et des fautes. Il a été la première et déplorable victime de la lutte entre l’empire et la papauté. La même animosité est restée attachée à sa mémoire. Les contemporains ont mis à sa charge les plus odieuses imputations ; s’il n’a pas été toujours et définitivement défendu avec le même zèle que Grégoire VII, il a été attaqué avec la même passion, et les ultramontains modernes l’ont voué à l’infamie. Rétablir la vérité historique est quelquefois aussi difficile à l’égard de l’un qu’à l’égard de l’autre. Au milieu des récriminations et des accusations des partis déchaînés, la notion du vrai a souvent disparu de la controverse. M. Villemain s’est étudié à la rechercher avec une patiente et consciencieuse application. Détourné de son œuvre laborieuse par sa réintégration dans le grand enseignement littéraire qui a fait sa gloire, les distractions de la politique ont ajouté, après 1830, un nouvel obstacle à l’accomplissement immédiat de la tâche qu’il s’était imposée. Il n’en a jamais