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profit, soumettre le monde civil à l’église, et l’église à la papauté, dans un esprit de réforme et de progrès, non dans un esprit stationnaire et rétrograde. »

Ces paroles furent alors une nouveauté grande ; si le parlement de Paris avait encore existé, M. Guizot eût peut-être été mandé pour s’en expliquer à sa barre. Elles excitèrent en 1828 un mouvement de surprise dans le brillant auditoire de la Sorbonne. M. Victor Leclerc, M. Villemain, n’en furent-ils pas étonnés eux-mêmes ? M. Guizot protestant abdiquait le langage des centuriateurs de Magdebourg ; il s’éloignait de la doctrine parlementaire des Talon, des Bignon, des Daguesseau, qui s’était imposée à la science historique ; il s’éloignait de la voie classique tracée par M. Daunou soit dans son Cours d’histoire, si autorisé alors, soit dans son Essai sur la puissance temporelle des papes, qui était en si grand crédit ; mais ce jugement nouveau du célèbre professeur, réintégré par M. de Martignac, a été le point de départ de l’appréciation de plus en plus juste, parmi nous, du grand pontife du XIe siècle. Le point de vue de M. Guizot était même plus caractérisé que celui de Voigt, et à une époque récente un autre éminent historien, M. Mignet, est arrivé, par sa réflexion puissante et par une connaissance profonde des personnes et des choses, à des conclusions analogues, exprimées avec une éloquente autorité, lorsqu’il nous a montré, « en passant par Cluny, l’homme extraordinaire à l’aide duquel devait s’accomplir la grande réforme vainement essayée jusqu’alors, et qui exigeait les profonds desseins d’un génie aussi entreprenant que celui de Grégoire VII, la fermeté d’une âme aussi altière et aussi religieuse, la grandeur d’un caractère aussi indomptable. » Deux esprits supérieurs se sont ainsi rencontrés dans le même jugement en arrivant au but par des chemins divers.

Je pourrais douter à bon droit que telle fût la direction dans laquelle M. Villemain entreprit ses études sur Grégoire VII, et je n’en voudrais pour preuve que l’esprit général de la docte et brillante introduction, dont le plan remonte à coup sûr aux premiers temps de ses travaux. Hallam avait jugé Grégoire VII avec une extrême sévérité. Un philosophe éminent de notre époque, M. de Rémusat, a suivi ce courant, dans son livre sur saint Anselme, malgré la haute impartialité qui honore son caractère. Les tentatives contemporaines de deux grands écrivains, J. de Maistre et Lamennais, pour faire admettre à l’état de dogme invariable et absolu la doctrine purement relative et historique aujourd’hui autorisée des maîtres de la science, maintenaient dans l’ancienne voie gallicane beaucoup d’esprits peu disposés pour les opinions ultramontaines. A Dieu ne plaise que je veuille moi-même m’écarter de la ligne traditionnelle de nos docteurs, ni abjurer la foi gallicane, que je crois