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s’est plus vivement attaqué aux conditions morales du gouvernement de la vie humaine et de la chrétienté ; nul n’en a porté plus haut les exigences et les attributions. Nul n’a conçu de plus profonds, de plus vastes, de plus mémorables desseins. Ses successeurs ne sont que justes en honorant en lui le réformateur du régime de l’église et le plus considérable représentant de la papauté au moyen âge, et nul cependant n’a soulevé contre lui de plus ardentes passions, soit dans la polémique des contemporains, soit dans celle des temps postérieurs. Sa hardiesse a même effrayé de grands chrétiens comme Pierre Damiani et Bossuet, et les rois ont proscrit sa mémoire comme celle d’un ennemi de la société politique dans l’Europe civilisée. La passion seule a-t-elle inspiré ces accens discordans ? Est-il possible à un esprit impartial de porter un jugement plus équitable sur le caractère et sur l’œuvre de Grégoire VII ? Je le crois, sans m’abuser sur les obstacles, car la seule recherche de la vérité matérielle est une première et immense difficulté. Il est moins facile quelquefois de découvrir le fait que de l’apprécier avec justice. Il connaissait bien ces difficultés, l’illustre écrivain dont l’ouvrage vient, après sa mort, d’être livré à la publicité ; on peut même assurer que la considération de ces difficultés est la cause principale qui a retenu son esprit dans l’hésitation malgré la confiance que lui devaient inspirer les qualités si brillantes de son talent, et qui a suspendu pendant tant d’années la publication de l’Histoire de Grégoire VII, dont les amis de la belle et bonne littérature peuvent jouir aujourd’hui, grâce à un acte de piété filiale dont les lettres françaises garderont le souvenir reconnaissant.


I

M. Villemain avait tracé le premier dessein de ce livre en 1827. Il venait d’être destitué de son emploi de maître des requêtes au conseil d’état, et suspendu de son enseignement à la Sorbonne, pour avoir accepté la charge de rédiger, au nom de l’Académie française, en compagnie de MM. de Lacretelle et Michaud, une adresse de doléance au roi relativement au célèbre projet législatif connu sous le nom de loi de justice et d’amour. Sur l’annonce du livre, une souscription fut ouverte et sur-le-champ remplie, pour témoigner à l’éminent littérateur la sympathie qui l’accompagnait dans sa disgrâce ; mais l’œuvre n’était pas de celles que peut accomplir en peu de mois l’esprit le plus fertile en ressources. Les aspects littéraires du sujet, les tableaux qu’il offrait à une imagination féconde et à une plume habile, avaient probablement décidé la rapide détermination de M. Villemain plutôt que l’attrait spéculatif du grand problème de critique historique caché sous les noms