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détachés du siège de Péronne avec 4 batteries d’artillerie, et ils avaient surtout une cavalerie infiniment supérieure à nos quelques modestes escadrons. Le général de Kummer, avec 11 bataillons, 4 escadrons et 36 bouches à feu, était chargé de défendre le centre des positions en avant de Bapaume, sur une ligne de villages, Sapignies, Biefvillers, Grevillers, Favreuil, tandis que le prince Albrecht et le général de cavalerie de Groëben devaient opérer sur les deux flancs de notre armée en marche.

Cette fois l’attaque venait de nous ; elle fut vivement engagée par la division Du Bessol, qui était chargée d’assaillir Biefvillers, pendant que la division Derroja marchait sur Grevillers, et que l’ancienne division Moulac, maintenant sous les ordres du capitaine de vaisseau Payen, se jetait sur Sapignies pour se rabattre aussitôt sur Favreuil. Tous ces villages étaient défendus avec la plus violente ténacité. Le combat était particulièrement acharné à Biefvillers, qui fut plusieurs fois pris et repris avant de rester en nos mains. À midi, le général de Kummer était obligé de céder le terrain et de se replier à Bapaume même, où une de nos têtes de colonne, emportée par son ardeur, s’engageait sous le feu terrible de l’artillerie prussienne. Le combat, poursuivi encore sur plusieurs points, notamment au village de Tilloy, ne cessait que le soir à sept heures. On n’avait pas pris Bapaume, mais toutes les positions environnantes, si violemment disputées, restaient en notre pouvoir. Les Prussiens, qui ont depuis contesté ce succès à l’armée française, n’en doutaient pas eux-mêmes le soir de la bataille. Ils avaient essuyé des pertes sensibles. Les chefs allemands jugeaient leur position si peu favorable, si difficile à défendre à Bapaume, qu’ils avaient déjà donné pour le lendemain l’ordre de la retraite sur Péronne. Le général Faidherbe, sans douter de la victoire, puisqu’il couchait sur le terrain conquis, ne croyait peut-être pas lui-même son avantage aussi réel qu’il l’était. Peut-être aussi, connaissant mieux que tout autre le tempérament de sa jeune armée, craignait-il de s’engager trop avant dans des opérations où il ne tarderait pas à rencontrer des masses de renforts prussiens. Par prudence, il évitait de pousser à bout son succès, agissant en tacticien plutôt qu’en chef audacieux décidé à jouer tout sur un coup de dé. Il ne se retirait pas, il se repliait à quelques kilomètres, sur le chemin de fer d’Arras à Amiens, à Boileux, sans perdre de vue Péronne, se tenant toujours prêt à rentrer en action, — lorsqu’il apprenait tout à coup que Péronne venait de capituler.

Que s’était-il donc passé ? Les Prussiens avaient procédé là comme ils ont procédé contre tant d’autres places, négligeant les défenses régulières pour déployer toutes les fureurs des bombardemens meurtriers contre les villes elles-mêmes : système étrange qui ne tend