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part à faire ou à défaire les nations : voyez les sociétés antiques ; mais combien leur influence est-elle plus énergique dans les sociétés modernes ! Sans avoir de droits politiques, elles font la politique ; elles ne votent pas, elles font voter. Superstitieuses ou frivoles, elles seraient les plus terribles ennemies du progrès politique ou de la moralité publique. Leurs fils, leurs maris, sont ce qu’elles les ont faits. Est-ce une génération d’esprits faibles qui résoudra les problèmes du temps, qui fera reprendre à la France son rang scientifique et politique ? La sainte Russie, elle, ne néglige aucune des forces vives du pays ; elle fait appel aux femmes comme aux hommes.

En France, on entend toutes les familles se plaindre de la difficulté qu’on éprouve à instruire les filles. Saint-Denis représente assez bien les instituts de la Russie ; mais tout le monde ne peut pas aller à Saint-Denis. Les couvens ? C’est dans le monde et dans la vie réelle qu’il faut apprendre le monde et la vie. Les pensionnats ? Il y en a de très bons, mais des efforts isolés peuvent-ils réaliser ce que l’union du pays et de la couronne a créé en Russie ? Nous avons en France beaucoup d’excellentes institutrices, éprouvées par des examens fort difficiles, mais dans quelle situation se trouve généralement une institutrice ? On lui confie des enfans de tout âge, des grandes et des petites, les unes qui ont presque achevé leur éducation, les autres qui en sont à l’a b c. Lui est-il possible de leur donner à toutes en même temps l’instruction qui convient à leur âge et à l’état de leurs connaissances ? Que de temps perdu tantôt pour les unes, tantôt pour les autres ! Qu’elle s’adjoigne une ou deux auxiliaires, le vice de cet enseignement n’est qu’atténué. Ces institutrices peuvent-elles rivaliser avec ce personnel de trente ou quarante maîtres[1] qu’on trouve dans un gymnase russe ? Combien ne seraient-elles pas plus heureuses, si, au lieu de consumer leurs talens à passer d’une leçon de littérature à une leçon d’alphabet, et d’une démonstration mathématique à une exposition d’histoire, elles étaient concentrées, comme leurs collègues de Russie et d’Allemagne, dans une spécialité de prédilection où elles pourraient compléter sans cesse leurs connaissances, au lieu de les gaspiller sans mesure ! Beaucoup de parens font venir chez eux des maîtres pour leurs filles ; si les maîtres sont bons, ce moyen n’est pas à la portée de toutes les fortunes, et d’ailleurs il manquera toujours à cette éducation ce qui fait le grand ressort de l’éducation publique, l’émulation, le stimulant, et surtout ce que les enfans acquièrent

  1. Au gymnase Marie, 7 dames de classe, 23 professeurs, 16 maîtresses ; — à Kolomna, 4 dames de classe, 10 professeurs, 12 maîtresses ; — à Alexandre, 3 dames, 14 professeurs, 11 maîtresses ; — à Liteinaïa, 5 dames, 16 professeurs, 11 maîtresses, etc., sans compter les membres de l’administration.