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l’épanouissement de l’œuvre divine, d’une âme dans laquelle Dieu a déposé un germe de vie idéale ? Vous respectez ce don chez les hommes à la condition toutefois qu’il trouvera son emploi dans la vie pratique, c’est-à-dire qu’il servira à gagner de l’argent et à accroître une position sociale ; mais, comme l’utilité des grandes choses est moins lucrative chez les femmes, il vaut mieux les supprimer ! .. Tout ce qu’il y a de plus dangereux pour la femme, c’est la demi-science, c’est le demi-talent, qui, lui faisant entrevoir des horizons supérieurs, ne lui donne pas la force de les atteindre, lui fait croire qu’elle sait ce qu’elle ignore, et jette ainsi dans son âme un trouble, un désordre et un orgueil qui souvent se traduira par les plus tristes égaremens… Si vous ne dirigez pas cette flamme en haut, elle dévorera sur terre les alimens les plus grossiers[1]. »

Une jeune fille, comme un jeune homme, ne peut échapper au désir de faire montre de la science récemment acquise. Cela se voit surtout à l’époque où l’on va passer des examens, et où l’on est en quelque sorte saturé de son sujet : inconvénient passager ; la jeune fille surtout reprend bien vite la grâce, la facilité de relations, une certaine modestie qui vient toujours, avec plus de savoir, de la défiance de ce même savoir. Le moment où la femme comme l’homme se présentent avec tous leurs avantages, c’est celui où ils ont beaucoup su et où ils commencent à beaucoup oublier. Les choses techniques, les curiosités de l’histoire ou de la grammaire s’égrènent de leur mémoire ; il leur reste de ce qu’ils ont étudié une plus vaste conception de la vie, l’habitude de regarder au-delà des choses du temps présent. La science acquise se résout en une philosophie. Tout cet échafaudage de connaissances trop minutieuses, déprogrammes et de questionnaires, se défait pièce à pièce comme on enlève l’échafaudage d’une maison dont la construction est achevée, et alors apparaît la science proprement dite, celle des hommes et des choses, le monument gracieux et solide que cet attirail d’études et d’examens cachait aux regards.

A tous les avantages que la société russe, soit pour le rapport des classes, soit pour le rapport des sexes, retirera d’une instruction des femmes si largement organisée, vient s’ajouter ce que les femmes elles-mêmes comme mères de famille communiqueront à leurs fils de leurs connaissances acquises. Ceux qui craignent d’en apprendre trop aux femmes ne songent pas assez à l’influence qu’elles ont sur leurs enfans. Elles contribuent pour leur bonne

  1. Femmes studieuses et femmes savantes, par Mgr l’évêque d’Orléans, Orléans 1867. — Comparez l’Enseignement primaire des filles en France, par M. Jules Simon, dans la Revue du 15 août 1864.