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souvenir collectif aux protecteurs de leur maison d’éducation. Ces jeunes filles qui souvent, en sortant du palais impérial paré en leur honneur, sont obligées de se mettre en quête d’une place fort modeste, emportent de cette splendeur d’un jour, dans leur condition nouvelle, un précieux souvenir, un encouragement, parfois aussi des regrets, des illusions. N’importe ; rendons cette justice aux souverains russes : déjà dans la fondation des instituts, ils ont montré qu’ils faisaient de l’instruction des femmes une affaire de cœur, bien plus, une affaire d’état.

En attendant, la bourgeoisie semblait oubliée : l’institut lui étant à peu près fermé, il ne lui restait que les pensions particulières. Il est peu probable que ces établissemens privés fussent supérieurs, sous le rapport des programmes et des méthodes, aux instituts ; le grand mouvement d’études et de progrès pédagogique ne date guère que du commencement du règne actuel. Rappelons-nous un des plus malicieux passages de Gogol dans ses Ames mortes. Il nous fait pénétrer dans l’intérieur du gentilhomme campagnard Tchitchikof et de sa femme Manilova, nous trace le portrait des deux époux, nous décrit leur bonheur tranquille et les « surprises » dont l’épouse régale périodiquement son mari, par exemple à l’anniversaire de sa naissance un bonnet grec brodé de ses mains ou un étui à cure-dents enrichi de grains de verre. « Manilova a reçu une bonne éducation ; or la bonne éducation, comme chacun sait, se donne dans les pensionnats, et dans les pensionnats, comme chacun sait, il y a trois choses qui font la base des perfections humaines : la langue française, indispensable pour le bonheur de la vie de famille, le piano pour faire passer d’agréables momens à son époux, enfin, ce qui constitue spécialement la partie économique, savoir broder des bourses et faire des surprises. Du reste, on a introduit divers perfectionnemens et diverses modifications dans les méthodes, surtout en ces derniers temps ; tout dépend de la sagesse et de la capacité des chefs de pensionnat. Il y en a où l’on procède de cette façon : d’abord le piano, puis la langue française, et alors seulement la partie économique. Ailleurs c’est par la partie économique que l’on commence, c’est-à-dire par la broderie et les surprises, puis la langue française, enfin le piano. Il y a diverses méthodes. » Diverses méthodes sans doute ; mais avouons qu’elles semblent toutes avoir pour point de départ celle de Catherine II.

Les choses allèrent ainsi jusqu’en 1855. À cette époque, l’impératrice actuelle, Maria-Alexandrovna (Maximilienne de Hesse-Darmstadt), prit conseil de pédagogues russes distingués, et résolut de faire pour la bourgeoisie ce que Maria-Feodorovna avait fait pour la noblesse. Le nouveau règne s’annonçait par de vastes projets de