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il se résigna et mit en panne pour attendre les deux grecs, qui l’amarinèrent.

Le 26 septembre, à la pointe du jour, la Fleur de Lis appareillait de la baie de Saint-Jean. Soixante-quinze voiles ottomanes croisaient à l’entrée du golfe dans un désordre qui ne permettait pas de pressentir les intentions du capitan-pacha. Les Grecs, alertes et vigilans, se tenaient entre Spezzia et la côte de Morée. « La disproportion de leurs forces, écrivait le chevalier de Viella, leur a suggéré la pensée d’équiper une partie de leur flotte en brûlots. Ils en ont à peu près quarante, dont la moitié au moins est pourvue de véritables artifices, L’essai qu’ils en ont fait sur le vaisseau du dernier capitan-pacha et quelques autres tentatives du même genre ont tellement intimidé les Turcs que les vaisseaux ottomans n’osent plus prendre un mouillage en présence de leurs ennemis ; ils se laissent harceler le jour et la nuit sans savoir comment se délivrer des agiles navires qui les guettent. On ne peut voir avec indifférence la création presque magique de ces escadrilles qui réussissent si bien à paralyser les flottes ottomanes. »

Le soir même, la Fleur de Lis quittait ces parages ; le capitan-pacha faisait voiles vers La Sade, le plus vaste mouillage de l’île de Candie, laissant la garnison de Nauplie en proie à une affreuse famine. Le 9 avril 1822,20 livres de blé avaient été données pour dernière distribution à chaque soldat turc Le capitan-pacha eût pu détacher son convoi à Nauplie sous l’escorte de ses bricks et de ses corvettes, les frégates et les vaisseaux de la flotte ottomane auraient suffi pour couvrir le mouvement ; mais Méhémet se sentait surveillé par des ennemis dont il connaissait l’audace. Le cœur lui manqua. De tous les services que Miaulis devait rendre à son pays, le plus grand, le plus considérable par ses conséquences, ce fut assurément celui qu’il lui rendit en ce jour. Sans commettre l’imprudence de s’engager à fond, il sut tenir en échec toutes les forces navales de la Turquie rassemblées à grands frais pour secourir le Gibraltar de la Morée. Il fit ainsi tomber cette place réputée imprenable. Nauplie, que les habiles manœuvres de la flotte d’Hydra allaient donner à l’insurrection, serait aux mauvais jours le boulevard de la Grèce, le dernier obstacle contre lequel viendrait se briser la puissance d’Ibrahim. La garnison de La Palamide, véritable nid d’aigle qui domine du haut de ses escarpemens la ville de Nauplie, ne recevant pas de vivres, montrait peu de penchant à défendre plus longtemps cette forteresse. Les Grecs l’occupèrent le 12 décembre 1822, à la suite d’une escalade tentée par surprise.

À cette nouvelle, Colocotroni accourut de son camp d’Argos.