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LA MORT D’ALI PACHA.

déjà engagée dans le golfe. « La flotte grecque de l’arrière se rassemblait en groupes. » Six vaisseaux de ligne, plus de quatorze frégates ou corvettes, quarante ou cinquante bâtimens de guerre, favorisés par la brise régulière qui souffle tous les jours en été du large, abandonneraient-ils la place affamée qui leur tendait les bras ? Se laisseraient-ils barrer le chemin par une flottille dont le plus fort bâtiment, construit pour le commerce des blés, ne portait pas à cette heure vingt canons ?

La nuit se passa tranquillement. Au point du jour, la Fleur de Lis était à petite distance de l’escadre turque. À huit heures du matin, le chevalier de Viella envoya un de ses officiers, le lieutenant de vaisseau Graëb, présenter au capitan-pacha les complimens d’usage. Un drogman de l’ambassade de France servait d’interprète. Le capitan-pacha congédia tous ses familiers ; quand il se vit seul avec l’officier français : « J’ai dans mon escadre, lui dit-il de sa voix la plus caressante, un brick autrichien chargé de grains pour l’approvisionnement de Nauplie ; ne pourriez-vous pas lui donner l’escorte jusqu’au fond du golfe ? » M. Graëb ne put contenir l’expression de son étonnement. « Je ne crois pas, dit-il, mon commandant disposé à se charger de la protection d’un bâtiment neutre. » — Le capitan-pacha insistait. — Si ce navire était placé sous le pavillon de la France, il était bien sûr que personne n’oserait y toucher. — M. Graëb s’inclina respectueusement et se retira.

Le golfe offrait alors le plus beau spectacle. La flotte turque avec ses quatre-vingt-quatre voiles en remplissait l’entrée. Devant cette flotte se dressait, à moins de 10 ou 12 milles, la citadelle de Nauplie, dont les défenseurs croyaient déjà toucher le secours promis. À gauche, les bricks grecs, en panne sous leurs huniers, n’attendaient qu’un signal pour se couvrir de voiles. Le calme venait de succéder au vent de terre qui avait régné toute la nuit. Vers dix heures, les premières bouffées de la brise du large commencèrent à se faire sentir. L’immense flotte allait donc entrer triomphante à Nauplie et y ramener l’abondance ! Les officiers de la Fleur de Lis virent avec stupéfaction les Turcs serrer le vent et prendre une direction tout autre que celle qui les eût conduits vers les assiégés. Un brick couvert des couleurs autrichiennes s’était au même instant détaché du milieu de l’escadre. Il passa près du capitan-pacha et courut vent arrière vers le fond du golfe. Ce brick n’alla pas loin : deux croiseurs grecs, cachés sous l’île Tolon, parurent tout à coup et lui donnèrent la chasse. L’autrichien se dirigea d’abord vers la baie de Saint-Jean, où venait de mouiller la frégate française ; bientôt il reprit sa route ; au bout de quelques instans il hésitait encore, enfin, après avoir montré une extrême indécision dans sa manœuvre,