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riotes jonchèrent de cadavres le clair ruisseau qui serpente doucement au milieu des myrtes et des lauriers-roses. Ce fut alors qu’ils voulurent gravir les pentes d’où les Grecs presque sans péril les fusillaient. Le courage du désespoir ne les sauva pas. Le carnage fut horrible, le butin fut immense.

Le 8 août 1822, Dramali, à la tête d’une seconde colonne, prenait une autre route. Il fut également attaqué par Nikétas et par Ipsilanti. Trop heureux de pouvoir échapper à de tels adversaires en laissant entre leurs mains ses bagages, il regagna Corinthe avec les débris de sa cavalerie ; là le reste de son armée ne tarda pas à se fondre. Le fier pacha, qui avait rêvé la gloire de rendre à l’islam la péninsule rebelle, ne désista pas à la douleur et a l’humiliation de sa défaite. Son patron et son protecteur, le séraskier Kurchid, s’était empoisonné ; il mourut lui-même à Corinthe dans la fleur de l’âge le 8 décembre 1822.

Après la retraite désastreuse de l’armée de Roumélie, il ne restait plus d’espoir à la garnison de Nauplie que dans les secours que pouvait encore lui apporter la flotte. Déjà les vaisseaux turcs partis des Dardanelles sous les ordres du capitan-bey s’étaient montrés à l’entrée du golfe ; mais ils avaient bientôt poursuivi leur route vers Patras. Là le nouveau gouverneur de la Morée, l’exécuteur impitoyable des ordres du sultan, l’assassin du pacha de Janina, Méhémet, promu par sa hautesse à la dignité d’amiral, avait pris le commandement de la flotte ottomane. Le 20 septembre 1822, cette flotte revenant de Patras fut signalée par la vigie d’Hydra. La frégate la Fleur de Lis avait quitté le matin même le mouillage de la baie de Saint-Jean, où s’était réfugié le gouvernement grec. Elle passa au milieu de la flotte hydriote qui sortait à la hâte du canal d’Hydra pour se porter à la rencontre de l’escadre turque. « Tout était à Hydra dans la plus grande rumeur ; la population entière se tenait sous les armes. » Quatre-vingt-quatre voiles ottomanes se dirigeaient vers le golfe de Nauplie. Les Grecs n’avaient que soixante voiles, la plupart bricks de huit à quatorze canons, à leur opposer. Le lendemain, 21 septembre, on aperçut distinctement du pont de la Fleur de Lis « les deux flottes aux prises par pelotons, un brûlot se consumant, une scène, nous dit M. de Viella, remplie d’émotion. » Le brûlot était un brick grec qu’une frégate algérienne avait abordé, le prenant pour un brick de guerre. Avant de se jeter dans l’embarcation qui suivait à la traîne, l’équipage du brûlot prit le temps de mettre le feu à la mèche. Les voiles de la frégate s’enflammèrent et 50 hommes périrent dans ce commencement d’incendie.

Le lundi 23, quelques heures avant le coucher du soleil, la Fleur de Lis sortait des passes d’Hydra ; la tête de la flotte ottomane était