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LA MORT D’ALI PACHA.

les demeures des consuls, où 325 personnes s’étaient réfugiées, si deux navires français, la gabare l’Active et la goélette l’Estafette, n’étaient, par un heureux hasard, venus mouiller au Pirée. Les capitaines de Reverseaux et Hargous n’hésitèrent pas à mettre à terre une partie de leurs équipages. Nos marins, dirigés sur Athènes, escortèrent de cette ville au Pirée, les armes chargées et la baïonnette au bout du fusil, les malheureux qui avaient cherché un asile sous la protection de notre drapeau.

La capitulation d’Athènes eut un grand retentissement en Europe. Ce nom magique trompait les imaginations sur l’importance d’un événement, qui passa presque inaperçu à Constantinople. Le sultan Mahmoud se croyait alors assuré de reconquérir la Grèce, et l’orage de son courroux s’amassait en Thessalie. L’armée rassemblée à Larissa par le séraskier de Roumélie se montait à plus de 20,000 hommes : 8,000 cavaliers, milice féodale commandée par cinq pachas et par les beys de la Thrace et de la Macédoine, s’étaient Joints à l’infanterie albanaise qui venait d’achever le siège de Janina. Aussitôt que les chevaux eurent mangé au printemps l’orge verte, suivant la coutume immémoriale des Timariotes, le pacha de Drama, chargé par le vieux Kurchid de diriger l’invasion, franchit le Sperchius. Jamais, depuis le temps où Ali-Kumurgi reprit la Morée sur les Vénitiens, la Grèce n’avait vu pareille pompe militaire. Saisi de terreur, le commandant de l’Acro-Corinthe fit massacrer les prisonniers turcs laissés à sa garde et abandonna la forteresse dont la défense lui avait été confiée. Le 17 juillet 1822, Dramali établit son quartier-général à Corinthe, le 24 il campait dans la plaine d’Argus ; mais le commandant turc avait compté sans la détresse de la contrée qu’il envahissait. La Morée n’était pas un pays qui pût nourrir une armée imprudemment séparée de ses magasins. La disette, les fièvres et la dyssenterie ruinèrent plus sûrement que la guerre les troupes qui s’étaient crues victorieuses parce qu’elles n’avaient point eu à combattre. Il n’y avait pas quinze Jours que Dramali occupait Argos qu’il dut songer à se replier sur Corinthe. Les Grecs sous Nikétas l’attendaient à la sortie du Dervend. Je l’ai visité en 1833, ce sombre défilé où s’engouffra la cavalerie turque : sur les deux flancs de la montagne, les pierres amoncelées, dont la crête abritait les assaillans embusqués et soutenait le canon des longues carabines, subsistaient encore. Il était facile d’apprécier l’habileté des préparatifs accumulés pour arrêter les Turcs et de s’étonner de l’incurie du chef qui avait négligé de garder un pareil passage. Les Délhis entassés au fond du ravin essayèrent vainement de pousser plus avant. Il leur eût été plus difficile encore de rétrograder ; Ipsilanti, Dikaïos, s’étaient longtemps à l’avance postés sur leurs derrières. Les Tima-