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ces orthodoxes se distinguaient par leurs vertus guerrières les Souliotes, que devait immortaliser le siége de Missolonghi.

La montagne de Souli est située à 8 lieues de Sainte-Maure, 10 de Prevesa, 12 de Janina, 8 d’Arta. C’est une forteresse naturelle, défendue de trois côtés par des précipices perpendiculaires. Il n’existe qu’un étroit passage pour en gagner le sommet. Ce passage, de 3 milles environ de longueur, était gardé par trois tours distantes de 1 mille l’une de l’autre. En 1730, on comptait tout au plus 100 familles souliotes autorisées à porter les armes ; en 1792, cette communauté recrutée peu à peu dans les tribus voisines se composait de 450 familles et pouvait mettre jusqu’à 1,500 hommes sur pied. L’habitude de la domination et le dédain des travaux manuels contribuent beaucoup à développer cette fierté martiale dont s’honoraient jadis les habitans de Sparte, et qu’on retrouvait encore, il y a quelques années, dans le Nouveau-Monde, chez les Virginiens. Les Souliotes n’avaient ni esclaves ni ilotes, mais ils étaient devenus, avec le consentement tacite des pachas albanais, les gardes armés d’un district chrétien sur lequel ils exerçaient l’autorité de chefs féodaux. Des paysans de race grecque cultivaient le sol pour la caste militaire qui les protégeait. Souvent en lutte avec leurs voisins, les agas musulmans, le butin que faisaient les Souliotes dans ces expéditions était chargé sur les épaules de leurs femmes, habituées à transporter les plus lourds fardeaux dans des sentiers qui eussent été impraticables même pour des mules. Les gouverneurs vénitiens de Parga et de Prevesa fournissaient des armes et des munitions aux guerriers de Souli, comme les gouverneurs de Cattaro en fournissaient aux sujets du Vladika.

Toutes les attaques dirigées contre les Souliotes depuis la reprise de la Morée par les Turcs avaient été repoussées avec perte. En 1792, le sultan Selim III donna l’ordre à Ali d’en finir avec ce repaire de brigands. Plus de soixante villages chrétiens avaient à cette époque consenti à leur payer tribut. Le pacha de Janina se mit immédiatement en campagne ; mais il était de ces gens avisés qui n’hésitent jamais, « quand la peau du lion est trop courte, à y coudre un lopin de celle du renard. » Il avait attiré dans son camp un des capitaines souliotes les plus renommés, Zavellas, et il s’obstinait à le retenir prisonnier. La trahison n’a rien qui surprenne ces peuplades sauvages ; c’est une manœuvre de guerre à laquelle leur état de civilisation les a de longue date habitués. Sans perdre son temps à s’indigner de la félonie du pacha, Zavellas ne songea qu’au plaisir qu’il éprouverait à tromper lui-même un trompeur. Ulysse pris au piège n’eût pas déployé plus d’astuce ; Agamemnon ne se fût pas montré plus pénétré des droits que confère l’autorité