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victoire à Paris… Etrépagny enlevé aux Prussiens et Amiens évacué… Ce sera l’éternel honneur de la république d’avoir rendu à la France le sentiment d’elle-même, et l’ayant trouvée abaissée, désarmée, trahie, occupée par l’étranger, de lui avoir ramené l’honneur, la discipline, les armes, la victoire. L’envahisseur est maintenant sur la route où l’attend le feu de nos populations soulevées… » Cruel abus de la déclamation lorsqu’il s’agissait du salut du pays, et lorsque ce salut n’était possible que si on commençait par s’avouer la vérité, si on savait mettre dans cette défense de l’ordre, de la précision, une activité prévoyante, le sentiment de la gravité des choses. On se grisait de dépêches retentissantes et on trompait le pays. La « grande victoire de Paris » était malheureusement stérile. Étrépagny était « délivré » d’une singulière façon, — par le fer et le feu des Prussiens ! Manteuffel, au lieu de quitter Amiens pour se replier sous Paris, était déjà en marche sur Rouen le 1er décembre, poussant son VIIIe corps par Poix et Forges, son Ier corps par Breteuil et Gournay. Si on ne le voyait pas à Tours, on ne pouvait s’y méprendre en Normandie, et tout en préparant son mouvement « sur Paris, » le général Briand ne cessait de signaler le danger. M. Estancelin à son tour faisait une dernière tentative le 3 décembre en prévenant le gouvernement que l’ennemi se rapprochait d’heure en heure, qu’il n’était plus qu’à 8 lieues de Rouen, que, si le général Briand partait, la ville était menacée d’une occupation immédiate, et l’armée de Normandie pouvait être compromise.

Cette fois on envoyait un contre-ordre de Tours, ou du moins on laissait aux chefs militaires la liberté d’agir selon les circonstances ; mais on avait perdu deux jours en marches et en contre-marches, en efforts agités et confus pour le transport des troupes, du matériel, des approvisionnemens dans la direction de Paris. Tout était à refaire dans un autre sens, et on ne disposait plus que de quelques heures de nuit, si bien que lorsque l’ennemi, venant par Neufchâtel ou Forges, se présentait le 4 au matin à la hauteur de Buchy, en avant de Rouen, on était certainement peu en mesure de l’arrêter. On avait eu à peine le temps d’envoyer sur ce point une dizaine de mille hommes sous les ordres du capitaine de vaisseau Mouchez, tandis que sur la gauche M. Estancelin était chargé de protéger, avec ses gardes nationales, la ligne de Dieppe. Ces malheureuses troupes n’avaient pas même de vivres ; il y avait des corps qui n’avaient pas mangé depuis la veille. Que pouvait être une lutte ainsi engagée ? L’affaire de Buchy était moins une bataille qu’une mêlée assez rapide, où les mobilisés du colonel La Ferrine, les éclaireurs Mocquart se conduisaient avec quelque fermeté, et qui était bientôt suivie d’une retraite précipitée, bravement couverte