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religieuses qui recouraient soit au miracle continuel, comme la théologie traditionnelle, soit à des oppositions, inadmissibles à cause de leur caractère radical, de corps et d’esprit, de matière et de force, de monde et de Dieu, comme le cartésianisme. Si donc M. Strauss s’était borné à mettre en relief ce principe, qui de bonne heure a dû sourire à son défunt hégélianisme, nous laisserions à d’autres la tâche de corriger ces solécismes scientifiques ; c’est contre les conséquences philosophiques et religieuses qu’il en tire que nous nous insurgeons. Est-il donc vrai qu’en vertu du principe de continuité des choses on doive admettre un monde sans Dieu et des hommes sans âme ? Voilà ce que nous nions.

L’esprit conçoit la continuité ; il se la représente mal. Quand on parle de progrès continu, on conçoit très bien que ce progrès est autre chose qu’une simple superposition de choses nouvelles à des choses anciennes, qu’il est autre chose qu’une pile formée successivement de nouveaux ajoutés ; mais, quand on veut se le représenter, on l’imagine toujours comme une addition prolongée. Cette infirmité de notre imagination ne saurait toutefois prévaloir contre l’expérience qui nous montre des développemens procédant par le progrès continu et non par addition successive. Si donc le développement général des choses nous amène à constater des réalités sorties de leurs antécédens, mais qui en diffèrent, il ne faudra ni contester qu’elles en diffèrent parce qu’elles en sortent, ni nier qu’il y ait une connexion parce qu’elles s’en distinguent. Il en résultera que dans les antécédens se trouvaient à l’état latent, encore inerte, des propriétés ou des forces qui n’ont pu se révéler ou paraître au grand jour que dans les conséquens. Ceci est d’autant plus vrai que nous n’avons pas le moindre droit de prétendre que nous connaissons la totalité de l’être. Ce n’est pas en réalité l’idée de substance qui se présente à nous comme la plus haute à laquelle nous puissions atteindre, c’est l’idée de force. La matière n’est que l’apparition sensible de la force, et la force fondamentale de l’univers se brise, se subdivise, irradie en un mot en une multitude de forces grandes et petites. Nous les voyons se grouper à nos yeux sous trois formes générales en série ascendante, la matière, la vie organique, la vie consciente et rationnelle. D’un côté on voit très clairement que chacun de ces degrés a pour supposition nécessaire celui qui le précède : sans matière préexistante, point de vie organique ; sans vie organique, point de vie rationnelle. D’autre part on se heurte contre l’impossibilité d’expliquer la vie organique par le jeu pur et simple des forces physico-chimiques, et de ramener les faits de la vie rationnelle à des phénomènes purement organiques. Lorsqu’un matérialiste nous dit naïvement que la pensée est