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par Hœckel, êtres informes, dépourvus de tout organe, qui cependant se nourrissent et croissent, formant ainsi la transition entre le règne inorganique et la nature vivante. Comment ! il n’a pas va que la difficulté était déjà là tout entière ? car le prodigieux mystère de la vie ne consiste pas essentiellement dans la plus ou moins grande complication des organes, il repose sur ce fait nouveau d’un principe de mouvement intérieur en vertu duquel l’être vivant se forme, s’organise et s’accroît en s’assimilant des substances extérieures à lui, qu’il élimine ensuite et en vertu de la même force interne. Il y a donc dans le plus simple phénomène vital une téléologie, une finalité, dont aucune théorie purement mécanique et physico-chimique ne parvient jamais à rendre compte. Sans doute, une fois la vie commencée, les phénomènes successifs ou simultanés dont se compose l’existence de l’animal ou de la plante rentrent tous, selon toute apparence du moins, dans le domaine de la physique et de la chimie ; mais il y a évidemment un quid ignotum qui a déterminé cette série de phénomènes, qui gouverne leur succession, préside à leur concours et les plie à sa fin individuelle qui est de se constituer et de se conserver. Ni gaz, ni liquide, ni solide, pas même le cristal, ne présente un pareil état, et il n’est pas besoin d’une forte dose d’esprit philosophique pour constater le mystère et pour comprendre qu’il est tout aussi profond s’il ne s’agit que d’une cellule vivante que si on l’étudie chez les vertébrés les plus compliqués.

Cette même facilité à passer d’un pied leste à côté des problèmes, comme un novice qui les ignorerait, si étonnante chez un critique émérite, se retrouve dans la bravoure avec laquelle M. Strauss tranche la grande question posée par le fait de conscience. M. Dubois-Reymond s’avoue hors d’état de la résoudre ; le docteur Strauss n’y voit pas, lui, l’ombre d’une difficulté. Puisque le mouvement de la matière peut se transformer en chaleur, pourquoi, dit-il, dans d’autres conditions, ne deviendrait-il pas sensation ? Si la solution n’est pas très claire, elle est du moins naïve. Que signifie en effet cette transformation du mouvement en chaleur démontrée par la physique moderne ? Elle signifie qu’un mouvement imprimé à un corps et ne produisant à la vue qu’un phénomène de déplacement simple se change dans certaines circonstances en cet autre mouvement de la matière qui échappe à notre vue, mais qui produit sur nos organes cette impression spéciale que nous appelons chaleur. En d’autres termes, le mouvement initial se transforme en un autre genre de mouvement, et s’il n’y avait pas d’être sensible, ayant conscience de ses sensations, il n’y aurait pas non plus la moindre raison de parler de chaleur, il y aurait simplement une