Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas moins une œuvre fort remarquable. L’auteur avait voulu mettre à profit tout le travail opéré dans l’intervalle qui séparait sa première Vie de Jésus de la seconde. Sur plus d’un point, il avait redressé ses premiers jugemens avec la plus louable impartialité. Ses conclusions, il est vrai, n’avaient pas essentiellement changé ; pourtant on pouvait signaler un effort sincère pour faire au christianisme toutes les concessions que la conscience historique de l’auteur pouvait approuver, et cet effort à son tour ne pouvait être inspiré que par l’amour de la vérité, mieux connue et mieux appréciée. M. Strauss ne faisait point amende honorable ; il persistait à regarder comme incomplet l’idéal chrétien, tel qu’on peut le définir d’après Jésus lui-même, sur le domaine surtout de la vie sociale, de la politique, de la science, des beaux-arts ; mais il ne niait pas que l’on pût légitimement le compléter en lui adjoignant, pour répondre aux besoins des temps nouveaux, des élémens empruntés à d’autres grandeurs morales. Il voulait élargir le christianisme plutôt que rompre avec lui. Il ne rétractait pas ce qu’il avait dit dans son premier ouvrage quand il représentait Jésus comme le plus extraordinaire et le plus sublime des génies religieux, comme celui dont la religion, prise en elle-même, devait se retrouver nécessairement dans toute vraie piété. La plupart des âmes croyantes et beaucoup de théologiens pouvaient trouver ces déclarations insuffisantes ; mais, dans les temps de crise que nous traversons, l’étroitesse est mauvaise conseillère, toutes les opinions ont droit à leur place au soleil, et l’on doit seulement se féliciter quand celles qui nous déplaisent sont présentées avec sérieux, compétence et dignité. Enfin cette haute impartialité ne pouvait qu’augmenter l’estime pour le caractère du savant, et elle fortifiait ses raisonnemens sur un domaine où le parti-pris, dès qu’il s’affiche, énerve d’avance toutes les démonstrations.

Les œuvres que l’auteur publia dans les années qui suivirent ne contenaient rien qui fît soupçonner qu’un changement de quelque gravité se fût opéré dans sa manière de voir. Il semblait s’occuper moins de théologie, un peu plus de littérature et d’art, et il traitait ce nouveau genre d’études avec infiniment d’esprit et de goût. Ses appréciations d’Ulrich de Hutten, de Lessing, de Voltaire, sont très intéressantes. Survint la guerre de 1870. M. Strauss se révéla à nous, Français, sous un jour très peu favorable. Non pas que nous lui reprochions la vivacité de son patriotisme, nous savions depuis longtemps qu’il ne nous aimait pas ; toutefois il y a plusieurs manières de combattre, il en est de bonnes et de mauvaises, et ce l’on méprisant, ce manque absolu d’égards pour des ennemis vaincus qu’on achevait d’égorger, cette incapacité totale de se mettre, ne fût-ce qu’un instant et pour rendre la discussion profitable, au point