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transports. Les vaisseaux longs se rapprochaient des galères pour les proportions et formaient la flotte de combat. Ils étaient massifs, hauts de bordage et chargés à l’avant et à l’arrière de constructions en saillie qui s’élevaient sur leurs gaillards et qu’on appelait des châteaux. Les amiraux, les chefs d’escadre, les capitaines eux-mêmes, pouvaient modifier les types à leur fantaisie, et il résultait de là de grandes différences dans les qualités nautiques des vaisseaux. Les constructeurs, qu’on désignait sous le simple nom de charpentiers, étaient d’ailleurs fort habiles et ils en donnèrent la preuve à Toulon en 1679, lorsqu’ils arrivèrent en sept heures à bâtir la coque d’un vaisseau de quarante canons et à la mettre en état d’être lancée.

L’artillerie se composait de pièces de fonte, de pierriers et de mortiers de calibres très divers, mais il ne paraît pas qu’elle ait reçu au XVIIe siècle des perfectionnemens notables. En 1666, un sieur Émeric, de Lyon, inventa un nouveau modèle se chargeant par la culasse ; il proposa son système, mais ne put réussir à le faire adopter, quoiqu’il en eût démontré les avantages ; il en fut de son invention comme du traité de Salomon de Caus, les liaisons des forces mouvantes, comme du mémoire de Papin, la Nouvelle manière d’élever l’eau par la force du feu. C’est qu’en effet il n’y a chez nous que les inventeurs d’absurdités politiques ou sociales qui aient le privilège de se faire adopter d’emblée ; le phalanstère de Fourier, la Ville nouvelle et la femme libre des saint-simoniens, l’Icarie des communistes cabetistes, ont rallié des disciples enthousiastes ; mais ceux qui ont travaillé à centupler les forces de l’homme, à doubler la richesse industrielle, n’ont trouvé pour la plupart que le silence, le dédain ou l’hostilité ; on les a regardés comme des rêveurs contre lesquels il fallait se mettre en défiance. Salomon de Caus ne fut pas enfermé comme fou par ordre de Richelieu, ainsi qu’on l’a souvent répété ; mais, ne trouvant pas à vivre dans son propre pays, il offrit ses talens d’ingénieur à l’Angleterre et à l’Allemagne, où il fut successivement attaché au prince de Galles et à l’électeur palatin. Denis Papin, chassé du royaume comme protestant, alla professer les mathématiques à l’université de Marbourg ; il fit dans cette ville les applications de ses découvertes, et ce fut sur une rivière allemande, sur la Fulde, que navigua le premier bateau à vapeur construit par un Français. Le sieur Émeric vit ses canons repoussés par Colbert lui-même, et son invention toute française, comme les découvertes des forces motrices de la vapeur, ne profita qu’aux ennemis de la France.

Si notre marine eut tant de peine à se développer sous l’ancienne monarchie, la question d’argent y est entrée pour la plus grande part. En 1662, il fallait 318,000 livres pour réparer les vaisseaux qui se trouvaient dans les ports, et pour achever ceux qui étaient sur les chantiers ; mais, suivant le mot d’un écrivain du temps, « il n’y avait pas un sou, » et le gouvernement, pour faire les réparations les plus urgentes, ne trouva