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appartenait à cette forte et vaillante race d’armateurs normands, dont les courses aventureuses rappelaient celles des Scandinaves, leurs aïeux, et prend à l’abordage un navire hollandais. Il navigue ensuite sur les vaisseaux du roi, se distingue à l’attaque des îles de Lérins, tombées au pouvoir des Espagnols, et reçoit le grade de capitaine en récompense de ses actions d’éclat, de l’assistance qu’il avait prêtée dans ses croisières au commerce français et des nombreuses prises qu’il avait faites, car alors les capitaines, tout en se battant pour le roi, faisaient pour leur propre compte la chasse aux navires marchands. A la mort de Richelieu, la plus grande partie de la flotte est désarmée, et Duquesne, ne trouvant plus en France d’élémens pour son activité, s’embarque pour la Suède au moment où la reine Christine venait de déclarer la guerre au roi de Danemark, Christian IV. Il assiste aux combats de Ripen et de Lalandt, et Christine lui confère le grade d’amiral-major. La conclusion de la paix le ramène en France ; il se signale à la bataille de Telamone, livrée aux Espagnols par le duc de Brézé, qui fut tué sur son banc d’amiral, et le brevet de chef d’escadre lui est accordé par Louis XIV malgré les nombreux ennemis qu’il avait à la cour et qui ne cherchaient qu’à le desservir. Plus sage que Turenne et Condé, qui compromirent leur gloire pendant les troubles de la fronde, Duquesne resta fidèle à la cause nationale. Il commanda l’expédition envoyée dans la Gironde au moment de la révolte de Bordeaux, et soutint, en se rendant au poste qui lui était assigné, une lutte sanglante contre les Anglais, qui ne réussirent pas à lui barrer le chemin, malgré la supériorité de leurs forces. Après la paix des Pyrénées, il suivit le prince de Beaufort dans ses campagnes contre les corsaires barbaresques, fit de nombreuses prises, et fut nommé lieutenant-général en 1667. Il avait alors cinquante-sept ans : ce fut pour lui l’âge de la gloire et des grandes actions. Son nouveau titre lui donnait enfin le droit de commander en chef, et il ne tarda pas à montrer tout ce qu’il pouvait faire. En 1676, il remporta la grande victoire de Stromboli, et celle du mont Gibel, où Ruyter fut blessé mortellement, et qui fut suivie de l’incendie de la flotte ennemie dans le port de Païenne. Une expédition contre les corsaires de Tripoli, le bombardement d’Alger et de Gênes, la bataille de Sainte-Héline marquèrent les dernières années de cette longue et glorieuse existence.

Duquesne était protestant ; Louis XIV ne voulut jamais lui confier le grade d’amiral, dont il était certes beaucoup plus digne que le comte de Vermandois ou le comte de Toulouse, car le serment du sacre plaçait au premier rang des devoirs de la couronne l’extirpation de l’hérésie ; admettre un réformé parmi les grands dignitaires du royaume pouvait passer aux yeux des confesseurs du roi ou de Mme de Maintenon pour un cas réservé, et Louis, pour se mettre tout à la fois en règle avec Dieu et ses devoirs de chef d’état, qui l’obligeaient à récompenser