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menacer l’ennemi par Beauvais et par Creil. On en était là quand tout à coup le gouvernement de Tours, cédant aux délations ridicules de quelques agitateurs des villes du nord, rappelait le général Bourbaki. C’était, on en conviendra, une étrange manière de servir la défense que d’enlever à cette armée naissante du nord un chef brillant et expérimenté au moment même où elle allait avoir à combattre, à supporter l’orage qui se préparait devant elle.

Que se passait-il en effet au camp prussien ? Jusque-là les Allemands s’étaient bornés en quelque sorte à contourner le nord sans y pénétrer. A deux reprises, il est vrai, ils avaient voulu remonter jusqu’à Saint-Quentin. Une première fois ils avaient échoué devant la résistance de la population bravement conduite au feu par le préfet de l’Aisne, M. Anatole de La Forge, blessé lui-même dans le combat. Une seconde fois ils s’étaient présentés de façon à s’ouvrir toutes les portes ; ils étaient entrés dans la ville, ils l’avaient rudoyée, rançonnée, puis ils s’étaient retirés en laissant derrière eux les plus violentes menaces. Maîtres de Laon depuis les premiers jours de septembre, de Soissons depuis le 15 octobre, ils se tenaient sur leurs lignes de Verdun à Compiègne et à Beauvais, s’éclairant de tous les côtés, bataillant avec les francs-tireurs de l’Argonne ou des Ardennes, observant à l’autre extrémité Amiens et la Somme. La chute de Metz, aux derniers jours d’octobre, changeait la face de la situation. Dès lors l’invasion, délivrée de ce grand souci, était en mesure d’agir plus énergiquement, d’étendre son action partout où elle sentait une résistance gênante. Tandis qu’une partie des forces de Metz, la deuxième armée, conduite par le prince Frédéric-Charles, hâtait sa marche sur la Loire, l’autre partie, la première armée, — Ier, VIIe, VIIIe corps et 3e division de cavalerie, — devait, sous le général de Manteuffel, se porter vers l’ouest en menaçant la région du nord. De cette première armée un corps, le VIIe, restait pour le moment à Metz pour surveiller le transport des prisonniers français, puis pour faire le siège de Thionville et de Montmédy. Une division était détachée devant Mézières, où elle allait être bientôt remplacée par de la landwehr, et une brigade était désignée pour aller investir La Fère. Avec le gros de ses forces, s’élevant, sans le VIIe corps, à 45,000 hommes, le général de Manteuffel s’acheminait dans la direction qui lui avait été assignée, et dès le 21 novembre il était sur l’Oise, ayant un de ses corps à Compiègne, l’autre à Noyon, jetant sa cavalerie en avant sur les routes du nord.

Le mouvement de Manteuffel, dans la pensée de l’état-major de Versailles, tendait vers Rouen et la mer, soit par Le Havre, soit par Dieppe ; mais avant de tenter la marche décisive en Normandie, il fallait s’assurer de l’importance des rassemblemens français au nord, et dans tous les cas Amiens était une position de premier