Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

but ; mais, on ne peut s’y méprendre, c’est une crise qui commence à peine. Cette république espagnole à sa naissance se trouve en face de toutes les impossibilités ou de toutes les difficultés : soulèvement d’indépendance à Cuba, insurrection carliste dans les provinces du nord de la péninsule, déchaînemens révolutionnaires à Barcelone ou dans les provinces du midi, division des républicains eux-mêmes, décomposition de l’armée, commencée par le dernier ministère de la monarchie, activée par une révolution, — désorganisation des finances, dévorées de déficits, épuisées par les expédiens ruineux. Que peut-il sortir de tout cela ? Un des dangers les plus immédiats, les plus apparens, c’est sans doute cette insurrection carliste qui levait le drapeau l’an dernier en Navarre, qu’on a cru en certains momens avoir vaincue ou dispersée, et qui depuis quelques mois s’est remise en campagne d’une manière assez redoutable. Sans être entièrement maîtresse de ces contrées du nord, elle est du moins assez sérieusement organisée pour tenir en échec les forces qu’on envoie contre elle. Assez récemment, à la veille de l’abdication du roi Amédée, un des généraux appelés aujourd’hui à commander dans le nord, le général Nouvilas, déclarait devant le congrès de Madrid que la Catalogne était presque complètement au pouvoir de tous les chefs carlistes, Saballs, Castells, Tristany, qui tiennent la campagne presque jusqu’aux portes des plus grandes villes, levant des contributions, ayant leurs douaniers, leurs agens de toute sorte, accordant même quelquefois à des intérêts privés la protection que le gouvernement ne peut leur assurer. Au nord, dans la Navarre, dans les provinces basques, ce sont d’autres chefs parmi lesquels compte ce curé de Santa-Cruz, héritier du curé Merino, qui s’est déjà signalé en mainte rencontre avec les troupes régulières, dont on a mis la tête à prix, mais qui n’est pas précisément de facile capture. Ici les carlistes coupent les télégraphes et les chemins de fer, brûlent les gares, menacent les employés, s’ils continuent leur service, et recommandent-aux « sujets de S. M. Charles VII » d’être surtout « bons catholiques. » Ces jours derniers encore entrait en Espagne, par la frontière de Navarre, un nouveau chef, Dorregaray, ancien officier de l’armée régulière qui semble avoir le commandement supérieur des opérations carlistes dans le nord. Don Carlos est-il lui-même en Espagne ? On le dit, quoiqu’il ne se montre guère ; il paraîtrait bientôt sans doute, si ses partisans réussissaient à prendre quelque place d’une certaine importance, Bilbao ou Pampelune, et le fait est qu’ils serrent de près les villes du nord, de même que dans l’Aragon ils tourbillonnent autour de Saragosse et se répandent un peu partout. La cause carliste peut être une menace, un péril de guerre civile, elle n’est point sans doute destinée à triompher ; elle a contre elle toute la classe éclairée, intelligente, commerçante de la population, tous les intérêts nouveaux créés depuis trente ans, et même la plus