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entraîné par cela même à une action personnelle plus décidée. On ne peut se tirer de là que par l’équité, par un sentiment juste des choses, et au fond ces précautions qu’on semble multiplier, au lieu d’être une humiliation infligée à M. Thiers, sont encore un hommage rendu à sa position, à son caractère et à son talent. On ne veut pas lui enlever ses meilleures armes, ce qui fait sa puissance et son ascendant ; on veut qu’il ne descende pas du rang où ses services l’ont placé, où il représente la France malheureuse devant le monde, pour se jeter dans ces mêlées où la vivacité des contradictions personnelles aigrit si vite les dissentimens politiques. On veut qu’il ne soit point incessamment exposé, lui chef de l’état, à ces conflits de parole où une explosion imprévue peut substituer tout à coup une question de gouvernement à une lutte de partis. On veut enfin, par certaines formalités, laisser le temps et la réflexion agir dans les discussions mêmes où le chef du pouvoir exécutif intervient, s’assurer les moyens d’atténuer l’effet des dissidences soudaines, et, s’il en résulte pour M. Thiers des privations auxquelles on lui sait gré de se résigner de bonne grâce, on songe si peu à le diminuer qu’on s’étudie à compenser ce sacrifice par d’autres droits inhérens à un pouvoir exécutif régulier. L’œuvre de la commission des trente est ainsi pavée de bonnes intentions. Aura-t-on réussi ? C’est peut-être assez douteux. Dans ces termes du moins, ce n’est plus qu’une question politique dégagée de tout ce qu’elle a de personnel ou de blessant, et, en la ramenant sur ce terrain, le rapporteur la rend plus facile à résoudre. Il ôte les épines de cette partie du problème pour ne laisser que les fleurs, dont il couvre le chef du gouvernement.

Que M. le duc de Broglie, chargé de parler pour la commission des trente, laisse entrevoir ses idées sur le gouvernement définitif de la France, qu’il ne néglige pas de montrer d’une façon piquante comment la république conduit à un redoublement de pouvoir personnel, même quelquefois à la dictature, au détriment des libertés parlementaires, on ne peut guère s’en étonner ; on ne peut pas sérieusement demander à l’habile rapporteur d’abdiquer ses opinions. Dans tous les cas, il n’est point de ceux qui, sous prétexte de ne point engager l’avenir, de tout subordonner à une forme préférée de gouvernement, se refusent à l’examen de toutes ces questions qui ont été présentées à la commission, la création d’une seconde chambre, la révision de la loi électorale, l’organisation et le mode de transmission des pouvoirs. Le programme qui avait été d’abord proposé par M. le garde des sceaux pour être introduit dans le projet des trente, M. le duc de Broglie l’adopte et le soutient au nom de la commission dans la forme nouvelle qui lui a été donnée, sans trop se bercer d’illusions cependant, sans méconnaître ce qu’il y a d’assez vain ou de superflu à se faire une façon de canevas politique