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et on les prononce aujourd’hui impunément sans trop se soucier de leur étymologie.

Les bras, les coudes, les mains et les doigts des vases ne sont pas exclus, on le pense bien, du langage poétique des anciens. En face d’un de ces canopes étrusques représentant un buste humain à l’aspect barbare, aux bras tendus en avant, il ne saurait y avoir de doute à cet égard ; mais à part les imitations serviles de la nature, le potier grec aimait trop ses œuvres pour leur refuser les organes les plus nécessaires. Les anses des vaisseaux de petite dimension, celles du cothon entre autres, s’appelaient les mains ; le verre à boire était muni de doigts. Chez les Romains, on se servait d’un vase à vin en forme de bracelet, et en se livrant au noble jeu du kottabos, la jeunesse athénienne maniait une coupe qui paraît avoir porté le même nom que le coude du bras.

Il ne nous reste plus qu’à voir si la poterie a aussi des jambes et des pieds. Tout le monde répondra affirmativement à cette question. Pour se tenir debout, la corne à boire avait besoin d’un support, d’un anneau fixé dans une base. Nous en voyons sur le canthare de sardonyx qui est un des joyaux du cabinet de Versailles. Eh bien ! ce support, on le comparait à l’anneau, la périscélide, que les femmes attachaient au-dessus de la cheville, comme le bracelet se met autour du poignet. Quant au pied du vase, il se trouve déjà dans les poésies d’Homère ; rien de plus commun que le trépied, dont le nom suffit pour donner une idée approximative de sa forme. Seul le tonneau, ce produit colossal des céramistes anciens, restait immobile ; au lieu de dire dans une conversation : « Cela n’existe pas, » les Grecs employaient la locution proverbiale : « c’est comme les pieds du tonneau. » Ajoutons qu’un genre de poterie très rare, mais dont on trouvera plusieurs exemplaires dans nos musées, était l’astragale, la cheville du pied.


II.

Voilà donc le vase constitué, pourvu de tous les organes vitaux, fort de ses membres, doué d’une tête qui pense, d’un corps qui témoigne de sa capacité, d’une ossature puissante qui défie les chocs et qui promet une existence durable. Que lui manque-t-il pour se mettre en mouvement ? N’est-il pas tenté, comme nous, de boire, de manger, de gesticuler, de faire son tour de promenade ? Les poètes grecs avaient l’imagination trop vive pour reculer devant cette dernière conséquence de leur ingénieux système. Dans Aristophane, un démocrate fait l’inventaire de ses richesses et appelle successivement tous ses ustensiles de cuisine dont il veut faire hommage à la république. « Viens au dehors ! dit-il au van ;