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embellie et détournée de son vrai sens en disant : « Je suis sourd comme une urne sépulcrale. » On admirait les oreilles petites, finement découpées comme celles de la Vénus de Syracuse ; mais on ne dédaignait pas un cartilage aplati, un peu gonflé, et qui rappelait les coups que se portaient les jeunes lutteurs de la palestre. Il n’est pas rare de rencontrer des anses ornées de pendeloques, de simples anneaux, mais qui rendent l’illusion complète.

Chose curieuse, les Grecs avaient une singulière façon de s’embrasser. En déposant un baiser sur le front de la personne aimée, on lui tirait en même temps les oreilles, et ce baiser, qui nous paraîtrait irrespectueux, reçut le nom d’un vase à deux anses, la chytra. « Je n’aime plus mon Alcippe, s’écrie en pleurant le chevrier de Théocrite, car dernièrement, lorsque je lui offris une colombe, elle ne m’a pas pris par les oreilles pour m’embrasser. »

L’orifice du vase est une de ses parties essentielles ; par la place qu’il occupe, le service qu’il rend, il provoque pour ainsi dire la comparaison avec la bouche humaine. Aussi les anciens n’ont-ils pas manqué de faire ce rapprochement, et l’image créée par eux a été adoptée dans toutes les langues modernes. Il n’est pas indifférent d’avoir une grande bouche ou une petite, une bouche bien taillée ou mal venue, des lèvres minces ou épaisses. Chacune de ces qualités et de ces difformités donnait lieu au choix d’une épithète que l’on appliquait à la vaisselle aussi bien qu’aux hommes. Certains vases avaient deux orifices et même davantage, ce qui a dû contenter les plus difficiles.

Les lèvres désignent plus spécialement le bord du récipient. Le buveur et son verre s’embrassent l’un l’autre, à moins qu’un accident ne vienne les en empêcher. S’agit-il d’un vieux pot, le grec n’hésite pas à lui prêter des lèvres ridées ; s’il est jeune et pourvu d’un orifice allongé, on dit qu’il a la bouche en cœur. Quant aux dents, on ne les trouve que dans le mot latin tridenta, que les lexicographes expliquent par « vase à trois plumes ou à trois nageoires, » c’est-à-dire à trois anses. Il en est de même de la barbe. Le poète Titinius intitulait une de ses comédies Barbatus, le barbu, et il entendait par là, non un personnage vivant, mais une cruche à eau.

Enfin le col du vase a toujours conservé sa dénomination primitive, tant elle semble juste et conforme à la chose. Des adjectifs spéciaux distinguent un goulot svelte, élancé, d’un col trop court, une encolure trop large ou étroite, lisse ou tournée en torsade. Souvent on parle de la nuque du flacon. N’aurait-on pas songé à faire un pas de plus et à y suspendre un collier ? Les poteries peintes ou décorées de reliefs nous le donnent à penser ; mais je ne connais pas de texte qui mentionne ce détail. La gorge convient particulièrement au vase à vin, parce qu’il absorbe le liquide à l’instar d’un buveur émérite. Lorsque sa