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réapparaît après une éclipse de près d’un demi-siècle ; non que ces cinquante années aient été perdues pour la science, il n’y en eut jamais de plus fécondes : elles ont été employées à réunir, à coordonner, à discuter les faits sur lesquels on peut enfin édifier une synthèse plus générale que celle qui était possible à une époque où l’on avait à peine entr’ouvert le livre de la nature.

Après la pensée, la mémoire est la plus importante et la plus nécessaire des facultés intellectuelles, puisqu’elle nous permet de comparer des idées acquises antérieurement avec celles qui naissent actuellement dans notre esprit. Grâce à ces trois facultés fondamentales, l’attention, la pensée et la mémoire, nous pouvons formuler des jugemens qui sont des produits de l’intelligence, des motifs déterminans de notre volonté, c’est-à-dire de nos actions. La raison n’est autre chose qu’un degré acquis dans la rectitude des jugemens, c’est le point culminant des actes de l’entendement.

Telle est en peu de mots la psychologie de Lamarck. Il a été accusé de matérialisme parce qu’il s’est tenu strictement sur le terrain des faits et de l’observation sans chercher à remonter au-delà pour expliquer des phénomènes dont il ne pouvait pas se rendre compte. Il est toujours très circonspect, très réservé dans ses conclusions, et ne tranche pas des questions qui ne peuvent être décidées encore. Que répondre à cette accusation ? Matérialisme, spiritualisme sont des mots vides de sens qu’il serait temps de bannir du langage rigoureux. Qu’est-ce que la matière ? Il est impossible de la définir. Qu’est-ce que l’esprit ? Autre énigme insoluble. Ces mots, pris pour point de départ de doctrines qu’on oppose l’une à l’autre, engendrent des discussions oiseuses qui ne sauraient aboutir. Observons, étudions, comparons : peu à peu la lumière se fera d’abord sur les phénomènes du monde inorganique, puis sur ceux des êtres vivans ; enfin, mais dans un avenir lointain, ceux de l’ordre intellectuel seront expliqués à leur tour.

Notre tâche est finie. Nous avons cherché à réhabiliter un naturaliste français qui, célèbre par ses travaux descriptifs en botanique et en zoologie, n’était pas apprécié à sa juste valeur comme philosophe synthétique en histoire naturelle. Venu trop tôt, il n’a été qu’un précurseur ; mais depuis sa mort la science a grandi, elle s’est prodigieusement enrichie, et les faits accumulés ont confirmé des généralisations qui ne pouvaient être comprises par ses contemporains. L’heure de la justice a sonné, et la gloire posthume de Lamarck jette un éclat inattendu sur la France ; grâce à lui, elle peut revendiquer une part notable dans le mouvement déjà irrésistible qui transformera la science des êtres organisés.


CHARLES MARTINS.