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accidentée. Ils étonnèrent et réjouirent de leurs miracles des pays qu’ils n’avaient pas connus de leur vivant, et devinrent vénérables comme des bienfaiteurs inattendus à des populations qui avaient souvent ignoré leur ancienne existence. On peut aisément imaginer avec quel empressement ces hôtes nouveaux étaient reçus en tous lieux, mais un danger presque aussi grand que la fureur normande naissait pour eux de ce zèle hospitalier qui souvent dégénérait en convoitise. Nombre de ces reliques furent volées ; d’autres confiées provisoirement à tel ou tel château y furent oubliées, et plus d’une fois lorsqu’on vint par la suite les réclamer le dépôt fut nié ou brutalement refusé ; on n’a qu’à lire dans Orderic Vital ce qui advint aux reliques du fondateur de son abbaye d’Ouche, saint Evroul. Enfin le voyage était, dans la plupart des cas, long, difficile et semé de périls. On ne pouvait voyager qu’à petites journées, et à chaque station il fallait s’arrêter longuement pour complaire à la piété des fidèles envieux d’éprouver pour le soulagement de leurs corps l’efficacité de vertus qui leur étaient nouvelles. Le temps ainsi pieusement perdu ne se réparait pas toujours, et souvent on apprenait qu’on avait devant soi ces Normands qu’on fuyait ; il fallait alors changer brusquement d’itinéraire, c’est-à-dire aller au-devant de nouvelles aventures. Quelquefois on croyait avoir trouvé le port de salut définitif, on séjournait dans tel lieu deux ans, cinq ans, dix ans ; tout à coup le danger apparaissait, et il fallait chercher un nouvel asile. De toutes ces vies posthumes de voyages, une des plus longues à coup sûr fut celle de saint Philibert, car elle dura environ quarante ans. Le corps fut emporté de l’île de Noirmoutiers vers 836, en 871 c’est à peine s’il touchait à son Ithaque définitive. Après un premier et long séjour en Vendée, où il a laissé son nom à la localité qui donna refuge à ses os, il passa successivement à Cunault en Anjou, à Messay en Poitou, et à Saint-Pourçain dans le Bourbonnais. De là ses reliques furent transportées à Tournus où elles sont encore aujourd’hui, paraît-il, sauvées qu’elles furent sous la révolution par la piété d’une femme du peuple. Deux siècles et demi plus tard environ, les templiers établirent une de leurs commanderies près de Fixin, et, comme ils étaient très particulièrement dévots à saint Philibert, le nom de leur patron favori devint tout naturellement celui de la localité. Et voilà comment le vieil abbé neustrien se trouve populaire sur les bords de la Saône, et comment l’église abbatiale de Tournus lui est dédiée.

Cette église de Saint-Philibert, dont la fondation remonte à l’époque carlovingienne, fut détruite plusieurs fois, d’abord par les Hongrois, puis par un incendie ; mais comme les dates de ces destructions se trouvent fort rapprochées de celle de sa naissance, il est plus que probable que dans ces reconstructions l’architecture primitive fut